Après les militaires et les juges, c'était au tour hier des journalistes de faire les frais de la fureur du président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui est connu pour ne par porter les médias dans son cœur. Avant le putsch raté, plusieurs dizaines de journalistes croupissaient déjà dans les geôles. La justice turque a émis des mandats d'arrêt visant 42 journalistes quelques heures après le placement en garde à vue de 40 militaires à Istanbul. Il s'agit du dernier épisode d'une vaste purge enclenchée après le coup d'Etat manqué du 15 juillet. Parmi les journalistes visés par un mandat d'arrêt se trouve Nazli Ilicak, figure de premier plan du monde des médias en Turquie, limogé du quotidien progouvernemental Sabah en 2013 pour avoir critiqué des ministres impliqués dans un scandale de corruption. Samedi, le président Erdogan avait prévenu, dans un entretien à France 24, que si «les médias soutiennent le coup d'Etat, qu'il s'agisse de médias audiovisuels ou autres, ils en paieront le prix». Le 19 juillet, le régulateur turc des médias audiovisuels avait déjà pris la décision de retirer leur licence à de nombreuses chaînes de télévision et de radio soupçonnées de soutenir le réseau du prédicateur Fethullah Gülen, accusé d'être l'instigateur du putsch, ce qu'il dément. Cette décision a concerné 24 chaînes de télévision et radios. 34 journalistes, considérés proches de l'opposant en exil aux Etats-Unis depuis 1999, se sont vu retirer leur carte de presse. L'ONG Amnesty International a affirmé dimanche avoir réuni des «preuves crédibles» attestant de tortures, et même de viols, de personnes détenues en Turquie après la tentative de coup d'Etat raté, qui a fait 270 morts. Il est à signaler que 13 000 personnes ont déjà été placées en garde à vue, 5800 placées en détention et des dizaines de milliers de fonctionnaires ont été limogés ou suspendus, ce qui suscite l'inquiétude de l'opinion internationale. Ce n'est pas tout. La Turquie, où l'état d'urgence a été instauré jeudi dernier pour la première fois en 15 ans, a porté de 4 à 30 jours la durée des gardes à vue et dissous plus de 2000 institutions. Dans ce coup de balai inédit depuis l'arrivée au pouvoir de M. Erdogan en 2003, ont été fermés plus de 1000 établissements d'enseignement, 15 universités, plus de 1200 associations ou fondations et 19 syndicats. A mentionner que Recep Tayyip Erdogan devait recevoir hier après-midi des chefs de l'opposition au palais présidentiel pour s'entretenir avec eux et les remercier pour leur «attitude déterminée contre le putsch». Le leader du parti prokurde HDP, accusé de soutien au terrorisme, n'a pas été invité. La veille, la principale formation d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), avait organisé, avec le soutien de l'AKP au pouvoir, un gigantesque rassemblement sur la place Taksim à Istanbul pour dire son opposition au putsch. Lors de ce rassemblement, qui s'est déroulé sans incident, le chef du CHP, Kemal Kiliçdaroglu, a toutefois exhorté le gouvernement à se conformer à l'Etat de droit et à «punir au plus vite» ceux qui auraient lynché des soldats dans la nuit du coup d'Etat.