Ce poète et militant de la cause nationale ne cessera de répéter que son seul souhait, maintenant qu'il a 89 ans, est de voir ses poèmes, dont le nombre dépasse 500 œuvres, publiés et légués à la postérité. Evoquer le parcours d'un poète et militant de la cause nationale, M'hamed Aoune, n'est pas seulement une forme de reconnaissance à une personne d'une grande envergure qui a marqué la scène culturelle nationale, mais aussi un devoir pour les jeunes générations d'avoir de la considération pour les hommes qui ont combattu pour l'indépendance nationale par la force de leur plume. Pour le rencontrer, il nous fallait nous rendre dans le café habituel où il passe ses matinées comme avant, du temps où il était étudiant à Paris et passait de longs moments à lire la presse et à s'informer sur l'actualité du front. C'est dans le café du rez-de-chaussée de son quartier qu'il s'attable pour siroter un thé ou boire un verre de lait chaud, le temps pour lui de se noyer dans les volutes de ses clopes et de se perdre dans les profondeurs de ses cogitations sur le monde et ses nombreux drames. C'est donc dans le petit café situé sous une cité, à quelques pas seulement de chez lui, seul dans son coin, l'air abattu et le regard hagard, que nous l'avons rencontré, très affaibli par sa maladie qui lui a valu une hospitalisation et des soins d'extrême urgence à Alger. Au cours de la discussion, l'on se rend vite compte que le poète est amoindri et a perdu de ses capacités physiques, lui qui était connu pour sa verve et sa faconde dans les grandes discussions. Parlant très peu, il ne cessera de répéter que son seul souhait, maintenant qu'il a 89 ans, est de voir ses poèmes, dont le nombre dépasse 500 œuvres, publiés et légués à la postérité. L'écrivain, poète et dramaturge Kaddour M'hamsadji a écrit dans une chronique parue en juillet dernier, à propos du style du poète M'hamed Aoun, qu'il "bouillonne de vigueur, de symboles et souvent d'un sens hermétique impressionnant, difficile à saisir pour les non-initiés et les noircisseurs de papier ! Quoi qu'il en soit, une poésie audacieuse y est constante dans l'œuvre de M'hamed Aoune et se développe en spirales étourdissantes de lyrisme abstrait. N'ayant jamais demandé de l'aide pour éditer au moins une des œuvres ni essayé de ‘'pousser'' quiconque à le faire connaître, il n'a jusqu'à présent aucun livre totalement de lui dans les librairies". La présentation du parcours du poète M'hamed Aoune n'est pas chose aisée, car l'aventure de son écriture a commencé au moment où l'Algérie venait de connaître une nouvelle page de résistance contre l'envahisseur. Son écriture paraît des plus chaotiques, car n'ayant pas suivi un cheminement régulier pour être saisie dans son déroulement temporel. Son aventure a commencé par la publication de ses poèmes dans diverses publications, dont la revue Affrontements qui était propriété d'une organisation ouvrière soutenant l'indépendance de l'Algérie, puis dans une revue dénommée Courrier de la Méditerranée, qui se proposait de livrer des réflexions devant faciliter le rapprochement des peuples des deux rives. Après l'indépendance du pays, plusieurs journaux et revues (dont El Moudjahid, El Djeich, Le Chroniqueur) l'ont fait découvrir au public en lui ouvrant leurs colonnes. Les anthologies consacrées à la poésie algérienne de Denise Barra, Jean Dejeux, Mustapha Toumi, Madjid Kaoua font référence au poète Aoun et soulignent le caractère prolifique du verbe et l'utilisation des symboles pour décrire les situations concrètes traversées par l'Algérie. Né en 1927 à Aïn Bessem, il fit des études à Aumale (Sour El-Ghozlane) qu'il dut interrompre en 1944 pour se livrer à des activités politiques en militant dans le mouvement du Manifeste algérien et, par la suite, dans des organisations clandestines tels le PPA et le MTLD. Poursuivi par la police, il fuit vers la Tunisie où il s'inscrit à la Zeïtouna de Tunis pour apprendre les rudiments de la langue arabe, côtoyant des étudiants qui deviendront plus tard des responsables politiques du pays, tels que Mehri, Mouloud Kacim, etc. En 1951, il s'embarque vers la métropole où il trouva un emploi dans un foyer estudiantin, tout en mettant à profit son séjour pour suivre les cours dispensés par Albert Memmi et ceux de Jacques Berque, alors professeurs au Collège de France. Il se mit à l'apprentissage de la littérature, y compris la littérature germanique, et à s'intéresser à toutes les formes de connaissances se rapportant à l'art et à la culture. Il prendra une part active à la création de l'Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugema) en France aux côtés de Taleb Ibrahimi, Mostefa Lacheraf, Dr Amir et tant d'autres. M. EL BEY