Spécialiste des politiques publiques, M. Belmihoub souligne que, dans le nouveau modèle économique, le gouvernement compte recourir à l'endettement extérieur pour faire face au manque de ressources financières. Liberté : On parle d'un document portant nouveau modèle économique. De quoi s'agit-il au juste ? Mohamed-Cherif Belmihoub : L'intitulé exact du document est "Nouveau modèle de croissance économique et trajectoire budgétaire 2016-2019". Le "modèle" tant attendu a finalement vu le jour par des bribes. Le document n'a pas encore été rendu public de manière officielle. D'après les premières annonces, il est présenté en deux volets d'inégale importance : Un : le cadrage de la politique budgétaire 2016-2019. Deux : le nouveau modèle de croissance économique. En réalité, l'utilisation du qualificatif "modèle" est abusive, il s'agit, au mieux, d'une nouvelle approche ou, plus simplement, d'une nouvelle politique économique. La notion de modèle renvoie à une construction stable des relations entre ses variables et sur des hypothèses fortes et stables sur une longue période. Pour les trois années considérées, dans la première partie, on peut parler de modèle d'ajustement des finances publiques. Cette partie est intéressante, car elle dresse un diagnostic complet et pertinent de la situation de l'économie nationale. Dans ce diagnostic, elle aborde les points cruciaux comme la situation des finances publiques, du commerce extérieur et des réserves de change, induite par la chute brutale des prix des hydrocarbures. La deuxième partie est moins intéressante. Elle est consacrée à la présentation des éléments de cadrage d'un nouveau "modèle" de croissance économique pour l'horizon 2030. Selon les rédacteurs du document, la période 2016-2019 est une période de transition qui prépare la mise en place du nouveau "modèle". À partir des trois points abordés par le diagnostic, la situation est très préoccupante, mais ceci n'a rien de surprenant car les constats et les causes sont débattus depuis 2014, néanmoins, l'analyse est plus approfondie et les arguments plus solides que ce qu'on a l'habitude d'entendre ou de lire dans la presse. Le document utilise des informations de première main. Et là, on est en droit de se poser la question : pourquoi l'administration ne donne pas les informations en temps utile et de manière périodique ? Les auteurs du document ont le mérite d'analyser les données avec rigueur et en faisant des Benchmarks avec des pays comparables au nôtre. Ces comparaisons montrent que le positionnement de l'Algérie en matière de transferts sociaux, rapporté à son revenu, n'est pas exceptionnel, mais il demeure surdimensionné et même insoutenable. Ce qui est inquiétant, plus que les transferts sociaux, c'est le volume des salaires versés aux fonctionnaires et agents de l'Etat ; inquiétant parce que ces dépenses deviennent incompressibles dans les budgets annuels et ainsi limitent la marge de manœuvre des pouvoirs publics dans une politique de rationalisation de la dépense publique. Comment évoluent les finances publiques à la lumière du cadrage budgétaire contenu dans le nouveau modèle économique ? Le rappel des conditions ayant prévalu dans l'élaboration des politiques économiques menées depuis 15 ans et dont la variable déterminante a été l'appui quasi-total sur les recettes d'exportation des hydrocarbures et dont les prix échappent totalement aux pays exportateurs, constitue la trame de l'analyse et des préconisations des trajectoires budgétaires pour les trois années à venir. Le cadrage budgétaire proposé se fixe comme objectif le rétablissement des grands équilibres macroéconomiques en faisant des adaptations des dépenses aux recettes; loin d'être une démarche alternative ou une rupture à/avec la situation de dépendance de l'action publique aux recettes pétrolières. Une période de transition de trois ans est nécessaire. À l'issue des trois exercices budgétaires (2017-2019), il est supposé que les grands équilibres seront rétablis : solde du trésor positif, balance commerciale largement excédentaire et solde de la balance de paiement positif. Ces résultats sont tributaires de la réunion de certaines conditions ou des hypothèses formulées (cadrage macroéconomique). Au cours de cette période d'ajustement budgétaire, il est noté une stabilisation des dépenses de fonctionnement autour de 4 500 mds de dinars (niveau actuel de ces dépenses) et une baisse des dépenses d'équipement pour être stabilisées autour de 2 300 mds de dinars (niveau actuel : 3 100 mds), soit un ajustement de 25%. Ces projections de dépenses dégagent un besoin de financement de 2 000 mds de dinars en 2017 (solde du Trésor). Et donc, il faut trouver des financements appropriés ; c'est ce que tente de faire les rédacteurs du document en "piochant" dans le marché des capitaux, chez les correspondants du Trésor et en épongeant totalement le Fonds de régulation en 2017. Le recours à l'endettement extérieur est donc inévitable pour compléter les ressources manquantes (soit 106 mds de dinars, c'est-à-dire 1 mds de dollars). Nous attendons les arbitrages dans le projet de loi de finances 2017. Les projections budgétaires d'ici à 2019 sont-elles réalistes ? Les projections budgétaires 2016-2019 sont bâties sur des hypothèses plus ou moins réalistes ; mais dans un travail de projection, il est nécessaire de formuler des hypothèses à partir des données actuelles et des pronostics sur l'avenir. La principale hypothèse dans cet exercice d'ajustement budgétaire est celle sur le prix du pétrole. Ce dernier est fixé à 50 dollars en 2017, 55 dollars en 2018 et 60 dollars en 2019. Ces niveaux de prix sont, de l'avis des experts et des institutions comme le FMI, la WB et l'OCDE, très réalistes. L'hypothèse sur le taux de change (108 DA pour un dollar) semble moins réaliste car, déjà aujourd'hui, cette parité est dépassée depuis juillet (110 DA pour 1 dollar). Il sera très difficile de tenir ce pari sur le taux de change sur les trois années, d'autant plus que le taux de change peut jouer sur la variable d'ajustement des recettes en cas de baisse des exportations (par les prix ou par les quantités). L'hypothèse sur les exportations hors hydrocarbures est modeste ; on les évalue à 1,6 milliard de dollars en 2017 (3 mds en 2015), 1,7 milliard de dollars en 2018 et 1,8 milliard de dollars 2019. Les dépenses budgétaires (budgets de fonctionnement et d'équipement) sont plafonnées sur toute la période de la transition. On fait aussi l'hypothèse sur la stabilité des prix des produits pétroliers sur le marché intérieur.
Quelles sont les sources de financement de l'économie (budget, économie) retenues ? L'option de l'endettement extérieur est-elle prévue ? Le financement du budget a été plus ou moins cadré dans les projections 2017-2019, en puisant à toutes les sources : fiscalités, autres revenus de l'Etat, marchés financiers, correspondants du Trésor et même le montant représentant le seuil minimum du FRR. Mais rien n'est prévu pour le financement de l'économie et des investissements productifs. Plus grave, les ressources du marché financier (épargne institutionnelle et celle des ménages) ont été épongées par le Trésor dans le cadre de l'emprunt national qui crée, du coup, un effet d'éviction pour les investisseurs. Le recours à l'endettement extérieur sera nécessaire pour compléter le financement du budget et, certainement, les investissements hors budget des entreprises de services publics (Sonatrach, Sonelgaz, Air Algérie, Algérie Télécom...). Le financement de l'économie sera le principal problème après l'ajustement budgétaire. Entretien réalisé par k. remouche