Partisan de la "privatisation" du fait religieux, le conférencier dit faire "une distinction claire entre la religion et l'interprétation de celle-ci". La montée en puissance du salafisme dans l'espace social et cultuel indique qu'il y a une crise de pensée profonde qui frappe l'islam, empêchant ainsi la religion musulmane de vivre son siècle de la modernité. C'est à ce constat qu'est arrivé l'islamologue et chercheur Soheïb Bencheïkh qui recommande aux musulmans la sécularisation pour dépasser cette impasse historique. De passage à Montréal où il a animé, mardi, une conférence dans le cadre du Festival du monde arabe (FMA) et à l'invitation de la Coalition laïcité Québec et le groupe Pour le droit des femmes (PDF), l'ancien mufti de Marseille se dit révulsé par cette religiosité de façade, cette bigoterie ambiante qui a envahi l'espace public dans les pays occidentaux. Partisan de la "privatisation" du fait religieux, le conférencier dit faire "une distinction claire entre la religion et l'interprétation de celle-ci". Pour lui, si l'islam est un concept, ses interprétations véhiculées par les hommes n'ont aucune sacralité, dès lors que ces dernières sont le fait d'une intelligence humaine en dialectique constante. Pourquoi le salafisme, qui se nourrit d'un "fixisme" historique, intègre-t-il l'Histoire comme source de la foi ? L'intervenant, connu pour ses positions libérales, croit que l'avènement de ce courant rétrograde et réactionnaire, qui remonte au début des années 1980, est symptomatique de l'échec du réformisme musulman depuis, notamment, les indépendances nationales. "Les tentatives de réformer l'islam de l'intérieur ont échoué. Voilà pourquoi la vérité religieuse doit rester un message qui s'expose et non un ordre qui s'impose", argumente-t-il. Etayant son propos, l'intellectuel franco-algérien natif de Djeddah en Arabie saoudite dit essayer, comme ses confrères, d'historiciser la révélation pour pouvoir la relativiser et mieux la comprendre. "J'ai cru qu'il était possible de réformer l'islam. Aujourd'hui, on assiste à une surenchère hypocrite entre l'islam politique et l'islam officiel des Etats", déplore encore l'orateur. Celui-ci fera remarquer que des élites politiques utilisent l'islam comme moyen d'accéder ou de se maintenir au pouvoir, et ce, faute de légitimité. Selon M. Bencheikh, un Etat, comme contrat social et personne morale, ne devrait pas se doter d'une religion officielle. "Les fonctionnaires de cet islam étatique sont des réformistes ; ce qui a fait perdre de la crédibilité au courant réformiste propagé à l'époque de la Nahda", affirme l'islamologue pour qui le salafisme constitue désormais "une menace contre toute l'humanité". L'universitaire estime que l'islam est à la croisée des chemins : se moderniser ou régresser. C'est-à-dire, la sécularisation ou la marginalité. La sécularisation, en tant que mouvement et déterminisme social, permettra à la religion de renoncer à un avantage qui est le pouvoir temporel, conclut Soheïb Bencheikh. Y. A.