L'anthropologue et chercheur à l'université Lumière - Lyon 2, Abderrahmane Moussaoui, a décortiqué la conception, les démarches, les tendances et conséquences du salaf lors d'une conférence qui avait pour thème «Le salafisme au Maghreb, genèse, évolution», tenue hier à l'Institut national d'études de stratégie globale (Inesg) à Alger. De prime abord, le chercheur est revenu sur la définition du salafisme. Le terme provient de «salaf salih», à traduire par les «pieux prédécesseurs». «Cette expression désigne les premiers compagnons du Prophète Mohamed (QSSSL), leurs successeurs et les successeurs des successeurs, soit trois générations d'hommes et de femmes qui incarnent l'âge d'or de l'Islam», dira Moussaoui en poursuivant «le salafisme est un courant religieux prônant un retour à la pureté religieuse de cette époque, à savoir le VIIe siècle (de l'ère chrétienne)», fait-il savoir. Le salafisme intervient sur la nécessité d'ignorer toutes les interprétations et évolutions qu'a connues l'Islam pour revenir à la religion d'origine telle que décrite dans le Coran et la sunna, la tradition prophétique que l'on retrouve dans les recueils de «hadith». Le conférencier est par la suite revenu sur la première codification de ce mouvement qui remonte au IXe siècle lorsque le théologien Ibn Hanbal fonde son école juridique conservatrice qui donnera naissance à la doctrine hanbalite. Cinq siècle plus tard, un autre théologien, Ibn Taymiyya, recourt au même appel à la tradition des ancêtres alors que le Moyen-Orient doit faire face aux diverses invasions. L'anthropologue a poursuivi en abordant l'imam hanbalite Ibn Abd El-Wahhab qui va rigidifier le salafisme en prônant une lecture encore plus littérale du Coran et de la sunna mais aussi de la charia. «C'est l'âge d'or de la naissance du wahhabisme qui deviendra la doctrine officielle de l'Arabie saoudite en vertu d'un pacte que passa l'imam avec la tribu des Ibn Saoud.» Moussaoui met l'accent sur les diverses mouvances entre plusieurs tendances du Salaf. «On en distinguera trois principales : premièrement, un salafisme prédicatif visant à l'islamisation de la société via la purification de la religion des innovations. C'est le wahhabisme qui défend une vision apolitique et non-violente de l'Islam. Deuxièmement, un salafisme djihadiste prônant les actions violentes pour imposer sa vision de la religion. Et enfin, un salafisme ayant pour objectif le rétablissement du califat via l'action politique et le renversement des régimes en place», fait-il savoir. Moussaoui expliquera que même si ces trois principales tendances sont concurrentes et mêmes rivales, elles recèlent cependant quelques points communs. L'idée selon laquelle l'Islam ne se réduit pas à une dimension religieuse mais est un système régissant tous les domaines de la vie. Ensuite, la certitude que si les sociétés musulmanes sont en déclin, c'est parce qu'elles ont trahi le message coranique originel mais aussi parce que l'Occident et les juifs ont agi de manière concertée pour maintenir les musulmans en position de dominés. Aujourd'hui, les partisans de ce courant ne se cachent plus et tentent de peser de tout leur poids sur l'organisation des sociétés ainsi que sur la vie politique et même au-delà. Pour ce qui est du Maghreb, le chercheur est revenu aussi sur les différentes tendances et leaders du Salaf pour ce qui est de la Tunisie, du Maroc de la Libye et de l'Algérie. A cet effet, les salafistes assurent aujourd'hui l'encadrement idéologique et culturel de la société. Ils sont aussi très impliqués dans les associations, comme dans le secteur caritatif et suivent le développement technologique à travers internet et les réseaux sociaux où ils activent pleinement». Ce mouvement se propage et connaît un certain écho chez les jeunes issus des quartiers populaires dans les trois pays du Maghreb. A ce propos, et questionné sur d'éventuelles études statistiques qui donneraient des chiffres sur les salafistes au Maghreb, Moussaoui dira que «dans ce genre d'études, l'enquêteur devient enquêté» et que ce genre d'études statistiques ne convient pas à tout le monde dans le sens où anthropologie et sociologie ne font pas bon ménage. Le salafisme a pris une connotation guerrière et révolutionnaire, synonyme de violence et de terrorisme, alors que dans l'esprit de nombreux théologiens, venant surtout d'Arabie saoudite, il définit avant tout une religiosité apolitique et non violente. L'Arabie saoudite, qui forme des futurs esprits dans les grandes universités de Médine, devient un pôle de savoir qu'apparente le chercheur au Vatican de l'Islam. Le succès du salafisme s'explique en partie par l'échec des mouvements de réislamisation comme les Frères musulmans, auxquels les salafistes reprochent les concessions concernant la référence coranique, l'ouverture politique et l'instrumentalisation de l'Islam dans une logique partisane. Auteur du livre «La violence en Algérie», l'anthropologue et chercheur Abderrahmane Moussaoui apporte de nouveaux éclairages et études de fond à des questions actuelles d'envergure.