L'évolution du marché gazier européen fait que le gaz algérien, sous contrat long terme, entre en concurrence avec d'autres gaz sous contrats spots beaucoup moins chers. L'accord signé à Milan fin novembre dernier entre Sonatrach et l'ENI portant notamment sur les prix du gaz livré à la compagnie italienne a suscité des interrogations de la presse nationale et internationale. Révision des prix ? Révision de la clause take or pay ? Révision de l'indexation sur les prix du pétrole ? Faute d'éclairages de Sonatrach, le flou a entouré l'annonce de l'accord. Contacté, une source sûre à Sonatrach affirme qu'il n'y a eu ni révision de l'indexation sur les prix du pétrole ni révision de la clause take or pay. L'accord signé à Milan porte sur la révision des prix du gaz livré à l'ENI. Il faut savoir que le P-DG de l'ENI, Claudio Descalzi, avait déclaré à New York que le nouveau contrat long terme Sonatrach-Eni a été aligné en référence à la plateforme hub italienne PSV, rapporte Natural Gas World. En clair, des prix en baisse par rapport à ce qui se pratiquait auparavant. "Ce serait la première fois en 33 ans que le contrat d'importation de gaz algérien de la compagnie ENI est découplé des prix du pétrole", ajoute la publication spécialisée. En fait, la révision périodique des prix du gaz fait partie des termes du contrat long terme. Habituellement, en cas de baisse de la demande, Sonatrach, en accord avec la compagnie cliente, peut réviser à la baisse ses prix du gaz et inversement en cas de hausse de la demande. Mais aujourd'hui la donne a changé. Les compagnies clientes, ENI et Gaz de France exercent des pressions sur Sonatrach pour réviser les prix à la baisse. Sonatrach est contrainte de faire des concessions. Si elle ne cède pas, son contrat risque de faire l'objet d'un arbitrage international. Elle a déjà perdu une partie avec la compagnie italienne Edison. L'équation est simple : cette dernière a montré devant le tribunal arbitral qu'en achetant le gaz à la Sonatrach, elle perd de l'argent, le gaz algérien n'étant plus compétitif avec d'autres gaz importés en Italie. Tout cela est une conséquence de l'évolution du marché gazier européen : le gaz algérien sous contrat long terme entre en concurrence avec d'autres gaz sous contrats spots beaucoup moins chers. Dans le cas de l'ENI, si Sonatrach a dû faire des concessions sur le prix, elle a obtenu un accord global qui porte en contrepartie sur une augmentation des investissements de l'ENI en Algérie et un partenariat dans les énergies renouvelables, selon notre interlocuteur. En 2019, l'essentiel des contrats long terme auront expiré, aussi il y a un risque de leur non-renouvellement. Mais d'autres importants clients exercent toujours des pressions à l'instar de Gaz de France. Ce qui est sûr, c'est que Sonatrach sera dans une situation compliquée en 2017 et 2018. La situation deviendra beaucoup plus compliquée en 2019 lorsque l'essentiel des contrats long terme de Sonatrach, dont celui de l'ENI auront expiré. À moins de la création d'une Opep du gaz, Sonatrach devra adapter ses contrats long terme à l'évolution des marchés internationaux. Sinon, le gaz algérien ne sera plus compétitif, avertit notre interlocuteur. En un mot, il ne pourra plus se vendre au profit de concurrents qataris, égyptiens... Une véritable menace à nos recettes gazières qui représentaient 40% de la valeur de nos exportations d'hydrocarbures. La parade, selon plusieurs spécialistes du secteur, est la prise de participations de Sonatrach dans la génération d'électricité en Europe, des partenariats dans la distribution du gaz dans le Vieux Continent avec les compagnies clientes en contrepartie de la cession d'actifs pétroliers ou gaziers en Algérie. En un mot, l'accès de Sonatrach au marché du gaz européen est l'une des solutions. Une alternative aujourd'hui difficile parce qu'il faudrait à Sonatrach des interlocuteurs solides qui savent convaincre ces compagnies à entrer dans ce genre de partenariats stratégiques. À noter que le contrat long terme avec l'ENI porte sur 19 milliards de m3/an, soit le plus important de Sonatrach. Les enlèvements de l'ENI représentent 20% des besoins en gaz de l'Italie. L'ENI est le premier investisseur étranger dans l'amont pétrolier avec 6 milliards de dollars d'engagements. Sonatrach a signé récemment des accords avec la compagnie italienne pour allonger la durée des contrats sur des gisements de pétrole au Sud-Est. K. Remouche