Sans succès probant, l'Algérie a épuisé plusieurs régimes en vue de résoudre l'équation quasi inamovible du pouvoir autogestionnaire avec « monocratisme partisan », industrialiste avec formation d'un capitalisme d'Etat périphérique, libéraliste avec rééchelonnement d'une lourde dette, réconciliateur avec comme projet d'investissement d'une cagnotte de quelque 60 milliards de dollars. Une interrogation se fait jour : quel système politique adopter pour arriver à une situation de nature à favoriser l'émergence de citoyens qui se gouvernent ? Toute la problématique tourne autour de la résolution de la question du pouvoir en Algérie afin d'assurer une légitimité aux gouvernants et conférer une assise définitive et durable aux institutions, faisant ainsi l'économie des dissensions et des guéguerres au sein des appareils d'Etat et assurant l'exercice d'un pouvoir légitime à même de permettre un mode de gouvernement par les citoyens. Ainsi, depuis l'indépendance, l'aménagement de l'Algérie en un complexe d'institutions ayant obéi à l'idée de restauration de l'Etat a révélé ses limites. Cette donnée politique majeure a été traversée par des ambiguïtés qui ont perduré à travers le monopartisme, mais également le pluralisme affiché depuis la constitution octroyée de février 1989. En effet, suite à l'élection d'une Assemblée nationale et d'un président de la République, la promulgation de la Constitution de 1963 et la rédaction de la Charte d'Alger de 1964, la doctrine politique et constitutionnelle algérienne a été réorientée dans un autre sens par le coup d'Etat de juin 1965, le culte de la personnalité autour de la personnalisation du pouvoir n'ayant été que mieux reconstruit. Après dissolution des institutions du régime de l'autogestion, le Conseil de la révolution institué devint l'élément fondamental de la politique du pays, la Constitution promulguée en 1976 n'ayant eu in fine pour principale mission que de légitimer les actions du nouveau régime. Elle fut établie sur la base d'une charte nationale de la même année qui devint alors le texte de référence idéologique et politique de l'équipe au pouvoir. En ce sens, le constitutionnalisme algérien inaugura le concept de la primauté de « la construction de l'Etat par la base » accordant théoriquement de larges prérogatives en matière économique aux collectivités locales (celles-ci révélèrent rapidement leur dépendance vis-à-vis du pouvoir central, nonobstant les professions de foi du régime sur la décentralisation). L'Etat, banquier, employeur... Au niveau central, jusqu'à l'élection d'une Assemblée nationale et d'un président de la République, le Conseil de la révolution s'était attribué les fonctions du gouvernement, du parti et du Parlement. L'analyse de la Constitution de 1976 - comme celles d'ailleurs de 1989 et de 1995 - et la pratique politique et constitutionnelle laissent filtrer la prééminence du président de la République sur l'ensemble des institutions. Nous sommes là face à un présidentialisme, déformation du régime présidentiel dès lors que le chef d'Etat est irresponsable politiquement car bénéficiant d'une immunité absolue le mettant à l'abri de tout contrôle en l'absence de contrepoids sérieux (opposition organisée, parlement autonome, société civile structurée...). Cette prééminence se révèle redoutable pour la vie politique de la nation dans les cas de vacance de pouvoir (en cas de décès, mais également de maladie) car les institutions risquent de tourner dangereusement à vide. Dans ce cadre, le FLN, parti unique constitutionnalisé depuis la loi fondamentale de 1963, n'a pu réussir sa reconversion (de front à parti) pour jouer un rôle politique majeur dans l'Algérie post-indépendance, les divers courants le traversant n'ayant pas su s'affranchir à l'effet de donner naissance à des partis politiques structurés en vue de la conquête du pouvoir. Les partis d'opposition (nés dès l'indépendance, et ceux nés après octobre 1988 dont certains peuvent être qualifiés de partis administratifs, car créés par le pouvoir en place afin de soutien) n'ont pu sérieusement concourir à une vie politique résolument orientée vers la dynamique du débat contradictoire à même d'asseoir un système politique expurgé de la pensée politique unique. En effet, l'absence de démocratisation ne pouvait permettre de doter l'Algérie d'un régime politique légitime, susceptible de servir le développement culturel, politique et économique. C'est ainsi que la pensée politique et constitutionnelle algérienne, censée être pragmatique en ses fondements idéologiques, a engendré un type de développement assimilable à un « capitalisme d'Etat » qualifié officiellement de « socialisme spécifique ». Principal acteur de la vie politique, la direction de l'armée - alors Conseil de la révolution - a conçu ce développement en assignant à l'Etat un rôle majeur comme principal entrepreneur, banquier, employeur... Dans cette perspective, elle s'est constituée en structure gouvernante, en s'attribuant des postes-clés dans l'ensemble des rouages du pouvoir d'Etat, se transformant en caste dominante sur l'échiquier et agissant tantôt de façon autonome (Conseil de la révolution), tantôt sous le couvert d'une personnalité cooptée (cas des présidents algériens depuis la succession de feu Boumediène). Depuis, la question se pose de savoir comment la pensée politique algérienne va s'intégrer dans une autre logique : celle inaugurée par les orientations d'économie de marché et l'importance accordée de plus en plus au secteur privé dans l'ensemble des domaines, avec de nouvelles perspectives d'ordre politico-institutionnel avec la remise en cause du parti unique, la professionnalisation de l'armée, l'émergence de la société civile comme acteur de la vie publique du pays... et d'ordre technico-juridique, notamment l'utilisation d'autres règles constitutionnelles telles que la séparation des pouvoirs et le respect des droits de l'homme et des libertés individuelles et publiques dont celle d'expression, primordiale d'entre toutes. Les douloureux « événements » d'octobre 1988 ont pourtant donné aux tenants des réformes l'occasion de démocratiser la vie publique dont les citoyens auraient été les acteurs conscients ayant le libre choix de leurs gouvernants à travers la constitutionnalisation du multipartisme. Après les élections locales qui ont vu le FIS accéder à la direction des affaires, force est de constater une énième fois les dissensions au sein du pouvoir quant à l'attitude à adopter face à cette nouvelle réalité sociopolitique. C'est ainsi que la recomposition du champ politique eut lieu, de l'idéologie unanimiste au pluralisme politique contrôlé, sur fond de paupérisation de la population et d'extraversion du système économique. Cependant, l'émancipation déclarée de l'économie vis-à-vis du politique n'a pas permis d'affranchir les institutions politiques du statut prééminent du président de la République - eu égard à ses exorbitantes prérogatives constitutionnelles - et de la direction restreinte de l'armée régulièrement sollicitée pour remettre à flot le régime à travers notamment l'arbitrage dans les batailles de succession au pouvoir, et ce, afin de préserver l'institution de l'Armée de toute manipulation. Ainsi, depuis la « démission-destitution » de Chadli Bendjedid, la situation politique fut caractérisée par les tergiversations évidentes du pouvoir quant à la continuité de l'ancien système par la remise sur le marché politique des anciennes élites sérieusement discréditées qui tentent de relancer le même système, d'autant plus que l'idée maîtresse de la légitimité n'était plus à l'ordre du jour. Or c'est sans doute là que réside la réponse à la fin de la « crise » que vit le pays ; ce, car il devint évident que les ressources politiques antérieures (le nationalisme et le populisme aux lieu et place du patriotisme et du débat contradictoire) ne suffisent plus face aux défaillances d'un système productif d'une bureaucratisation à outrance, d'un fort taux de chômage de la jeunesse, d'une dette extérieure qui continue d'être excessive, d'une austérité pesante même à l'heure de « l'aisance financière », d'une paupérisation englobant les couches moyennes de la société, d'une clochardisation des cadres - y compris au prix de leur injuste incarcération -, d'une inflation qui court après le marché informel de la devise, d'un dessaisissement de l'Etat d'attributs économiques sans contrepoids réel de contrôle de la sphère économique par celui-ci... Dans ces conditions, pour permettre l'effectivité de la légitimation du pouvoir avec à la clé un véritable programme économique et une politique culturelle et de communication efficiente, la révision constitutionnelle prônée régulièrement par certains partis se révèle nécessaire pour peu qu'elle consiste en une responsabilisation du gouvernement devant l'Assemblée, ledit gouvernement ayant à sa tête un Premier ministre désigné par le président de la République au vu de la majorité parlementaire. A moins d'opter pour un régime politique où le chef de l'Etat conserve cette prérogative, c'est-à-dire celle d'être la seule tête de l'Exécutif avec désignation éventuelle d'un vice-président (auquel pourraient être confiées certaines missions, mais également pour pallier les cas de vacance de pouvoir en cas de maladie notamment) avec délégation de pouvoir assez élargi pour les membres du gouvernement responsables devant les élus du peuple siégeant au Parlement. Ainsi, pourra être réalisé un contrôle de la politique de l'Exécutif, donc celle du chef de l'Etat ès qualités de premier responsable de la vie politique du pays. Ce, car il bénéficie de pouvoirs importants : il est le chef suprême de toutes les forces armées de la république (ministre de la Défense nationale) ; il nomme le chef du gouvernement ; il pourvoit à tous les postes civils et militaires... Il dispose donc de tous les postes à pourvoir à répartir aux membres de l'élite dont certains acceptent de faire partie de la nomenklatura qu'hier il vilipendait. Il est vrai qu'au regard des dispositions constitutionnelles actuelles, sa responsabilité n'est à aucun moment mise en cause, si ce n'est à travers le chef du gouvernement qu'il nomme et destitue. Et surtout, le président de la République conserve l'initiative de la loi concurremment à l'assemblée, donc pouvant court-circuiter le Parlement en légiférant par voie d'ordonnances qui devrait garder son caractère d'exception. La politique anémique Dans cette perspective, le processus de démocratisation de la vie publique commande, parmi les lignes directrices d'une possible réforme, un débat politique contradictoire à travers les médias publics et privés bénéficiant d'une liberté d'expression non soumise aux desiderata du chef du moment, des élections libres aux différents niveaux de responsabilité, un multipartisme au lieu et place du système de parti dominant ayant de facto remplacé le parti unique, des règles du jeu politique transparentes, la mise au rancart de tout pouvoir de coercition sur la société civile tant grandes sont ses frustrations, ses déceptions et sa méfiance de la chose politique. Ce processus de réformes devrait permettre d'éviter des situations connues antérieurement par l'Algérie qui fut soumise, bien avant l'indépendance déjà, à des convulsions politiques et sociales d'une grande ampleur. Non seulement, il y avait un conflit avec le colonisateur, mais à l'intérieur du Mouvement national algérien lui-même, la course vers le pouvoir de latente devint manifeste. Après l'indépendance, les rivalités ne cessèrent pas pour autant dès lors qu'il est admis que, sous l'unanimisme officiel affiché, des luttes tantôt sourdes, tantôt ouvertes avaient lieu au sein des appareils de l'Etat en vue de s'approprier la rente pétrolière, valeur essentielle du pays et de se répartir celle-ci par des clans s'apparentant davantage à des chefferies qu'à des courants politiques du fait de l'absence de partis participant au jeu politique pour prétendre démocratiquement au pouvoir. L'aspiration à la démocratie, conçue comme moyen de résolution de la question du pouvoir autrement que par la violence, ne peut tolérer longtemps l'étouffement des libertés publiques et du droit à l'expression par l'incarcération des journalistes et la marginalisation des hommes de pensée et de culture (comme on l'observe régulièrement au Maghreb) avec, comme corollaire, l'existence de forces politiques autonomes ayant leurs propres canaux de communication avec les citoyens. Ce faisant, le système politique doit être réaménagé en profondeur si l'on veut éviter d'autres explosions populaires demeurées comme seul mode d'expression du mécontentement dont les grèves sont un signe évident. Le remède possible, c'est la participation effective des citoyens à la gestion de la cité ; autrement dit, instaurer une démocratie qui ne soit pas l'exclusif de la minorité au pouvoir. En un mot, éviter que les hautes hiérarchies de tous les appareils d'Etat ne continuent de se reconstituer en clans et réseaux dominants qui verrouillent à chaque fois le système à seul dessein de servir leurs intérêts. Mais peut-on espérer y arriver alors que sévit encore la marginalisation des jeunes (70% de la population en moyenne), avec près de 7,5 millions de personnes analphabètes et sans penser sérieusement au renouvellement de la classe politique menacée de gérontocratie, d'autant que la situation économique continue de narguer les experts les plus optimistes en dépit de « l'embellie financière » promue à un ambitieux plan économique annoncé comme imminent dont on pourrait craindre qu'il ne soit une ruse supplémentaire conçue comme principale ressource insufflée à un système cherchant à se reconduire par la grâce d'un parti dominant sur l'échiquier politique sous forme d'alliance échappant à tout esprit critique et de contrôle institutionnel ou citoyen. C'est dans ces conditions d'anémie politique, car sans perfusion constitutionnelle substantielle et sans programme politico-économique connu, qu'une aile du pouvoir ne cesse de proposer une révision de la constitution dont il serait sans doute vain d'attendre qu'elle débarrassât le constitutionnalisme algérien de toutes ses scories, face au déficit chronique en matière d'équilibre des pouvoirs (le présidentialisme algérien n'étant qu'une sorte de technologie constitutionnelle artisanale de pays encore rivés au mal développement politique par la grâce d'une gérontocratie qui n'a de grand qu'une rhétorique démesurée et une attitude arrogante dont le populisme est le moindre mal et faisant de son passé un fonds de commerce laissé royalement en héritage à sa progéniture). Un fois de plus, le système politique algérien ne pouvant devenir viable, crédible et légitime qu'en se démocratisant sérieusement par la mise au rancart du déséquilibre institutionnel établi au profit du seul président de la République (véritable monarque présidentiel coopté par un cercle restreint de décideurs, cultivant à satiété le culte de la personnalité et pratiquant la coquetterie d'un populisme désuet), sans contrepoids réel, à savoir un Parlement qui reflète un pluralisme politique authentique à même de contrôler le gouvernement désigné par celui-ci, une magistrature indépendante, une presse libre avec des médias affranchis de toute tutelle dont le secteur public structuré en authentique service public ne craignant pas d'instaurer le pluralisme des opinions et permettant l'esprit critique, ainsi qu'une société civile organisée autour d'un tissu associatif libre de toute tutelle pour prendre en charge les questions qui l'intéressent prioritairement ; ce, pour mettre en place des garde-fous de nature à prévenir les risques certains de l'autoritarisme et de l'arbitraire ; en un mot, pour éviter l'autocratie opérée par les bailleurs de pouvoir se disputant la décision observée comme moyen d'accession à un plus grand patrimoine personnel. Encore une fois également, comment réconcilier les Algériens avec les impératifs de développement politique (l'exercice de la démocratie comme moyen politique à même de promouvoir la légitimité du pouvoir), le développement économique (impulser une politique efficace de l'investissement et rentabiliser le parc industriel existant dans le cadre d'une économie de marché encadré), le développement social (l'émancipation des travailleurs avec la mise en place d'une législation sociale plus conforme), le développement culturel (renouveau linguistique et remise à flots des créateurs dans l'ensemble des domaines artistiques) et la justice sociale conçue comme pierre d'angle de tout projet cohérent dont la légitimité doit reposer sur la capacité du gouvernement à régler les problèmes des citoyens et à tolérer l'esprit critique et parfois caustique de la presse conçue comme moyen majeur de communication au service de la société et non d'intérêts d'un régime, fut-il des plus progressistes ? A cet effet, s'il est constant d'observer légitimement l'Islam comme partie intégrante de l'Algérie, il n'est pas inutile de constater que la donnée islamiste s'est nourrie d'éléments auxquels le pouvoir n'a pas su trouver de solutions ; ainsi, ceux qui frappent le plus l'imagination (mais pas exclusivement) : la corruption et les différenciations socio-économiques flagrantes, dues principalement à une répartition inéquitable du revenu national et engendrant maintes frustrations, singulièrement du point de vue du logement et de l'emploi. L'originalité serait donc l'assimilation critique des notions de la modernité, de la démocratie, des droits de l'homme de la femme et de l'enfant, l'alternance politique, la liberté d'expression, le débat démocratique contradictoire et le respect de l'opinion de l'autre d'où l'urgence pédagogique d'éradiquer d'abord l'analphabétisme, l'illettrisme et l'inculture politique et de veiller à la meilleure répartition possible des richesses entre citoyens qui ont vocation à se gouverner, au moins à partir d'un choix facilité par le suffrage.