L'activisme du chef islamiste tunisien d'Ennahda semble nuire sérieusement aux efforts de la diplomatie algérienne dans sa gestion du dossier de règlement de la crise libyenne. Alger cache à peine son irritation. Engagé dans un vaste ballet "diplomatique" entre Tripoli et plusieurs capitales voisines, dont Alger, le leader d'Ennahda, Rached Ghannouchi, a fini par devenir un personnage encombrant. À Tunis, certains voient son activisme d'un mauvais œil et une tentative de supplanter le travail de la diplomatie officielle. Mais M. Ghannouchi affirme mener une "diplomatie populaire" dans le dossier libyen "pour le bien de la Tunisie", considérant le conflit libyen comme un "problème tunisien" en raison de la menace d'instabilité qui pèse sur son pays. "Cette démarche (de médiation) n'entrave en rien la diplomatie officielle. C'est une diplomatie populaire suivie au service de celle officielle", s'est-il défendu dans un entretien qu'il a accordé début février au quotidien électronique britannique Middle East Eyes. "Je m'abstiendrai de suivre cette diplomatie si le président me fait savoir qu'elle lui cause des problèmes, sachant que je suis en contact continu avec lui et que cette politique ne peut être qu'un facteur contribuant à la réussite de sa politique", a-t-il ajouté. Mais, vraisemblablement, son implication dans le dossier libyen semble gêner également le milieu diplomatique à Alger, selon des sources proches du dossier libyen au ministère des Affaires étrangères ayant requis l'anonymat. Ces sources affirment qu'à aucun moment, le leader n'a été sollicité pour jouer les intermédiaires entre Alger et les politiques islamistes libyens, l'Algérie entretenant des relations fraternelles en toute équité avec l'ensemble des acteurs de la crise libyenne. Pourtant, le directeur de cabinet de la présidence de la République, le ministre d'Etat Ahmed Ouyahia, s'est bien rendu à Tunis chez Ghannouchi, plus précisément pour rencontrer Ali Sallabi, un leader islamiste très influent en Libye. Ouyahia ne pouvait avoir fait le déplacement dans la capitale tunisienne en tant que secrétaire général du RND, comme tentent à le faire accroire les sources diplomatiques à Alger qui ne peuvent se plaindre de Ghannouchi et admettre en même temps qu'Ouyahia a été l'émissaire de la présidence de la République. Ghannouchi a bel et bien confirmé avoir joué l'intermédiaire entre Cheikh Sallabi et Ahmed Ouyahia, comme l'indique son entretien avec Middle East Eyes. "Nous aidons pour que cela réussisse en utilisant nos relations avec toutes les parties libyennes. (...) Il y a eu une réunion, ici dans mon bureau, entre deux personnalités importantes : Ahmed Ouyahia, le chef de cabinet du président Bouteflika, et Cheikh Sallabi", a-t-il affirmé. De plus, le chef islamiste, reçu par le président de la République, à Alger mi-janvier dernier, a affirmé dans un entretien accordé à notre confrère El Khabar qu'"effectivement, le dossier libyen était l'axe principal dans mes discussions avec Abdelaziz Bouteflika". Le déplacement médiatisé d'Ahmed Ouyahia a laissé ainsi supposer l'existence d'une diplomatie parallèle en Algérie, en plus de celle menée par un ministère des Affaires étrangères bicéphale, dirigé par le ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Ramtane Lamamra, et le ministre des Affaires maghrébines, de l'Union africaine et des Etats de la Ligue arabe, Abdelkader Messahel. Cela n'est pas pour plaire au niveau du département des Affaires étrangères dont le travail se voit perturbé, au moment où Abdelkader Messahel multiplie les rencontres avec les parties libyennes, toutes sensibilités confondues, dans l'espoir de trouver un terrain d'entente, favorable à la relance du processus de paix en Libye, loin de toutes considérations idéologiques. Lyès Menacer