Le phénomène est inédit. En refusant d'entendre une autre voix que la sienne, le pouvoir, peu rompu aux nouvelles technologies de la communication, s'est, cette fois, sévèrement fourvoyé à l'ombre d'un ineffable buzz. Avec un pouvoir qui a toujours confondu la liberté d'opinion avec la liberté d'opiner, les réseaux sociaux sont devenus pour les contestataires de tous bords l'ultime refuge et une tribune puissante pour exprimer leur colère. Depuis longtemps déjà, les jeunes internautes y crient leur rage. Ainsi, comme un cheveu sur la soupe de cette campagne électorale, pour les législatives du 4 mai, des podcasts confectionnés à la va-vite et mis en ligne ces derniers jours sont venus remettre définitivement les pendules à l'heure. Produits avec des moyens dérisoires, ces vidéos postées sur YouTube ou Facebook contrastent singulièrement avec les budgets faramineux consacrés à la participation des électeurs qui, depuis des années, boudent en Algérie les urnes, sûrs que le scrutin sera truqué à l'avantage des tenants du pouvoir et aussi, fait nouveau, des coalitions de l'argent sale. L'impact même de ces productions qu'il convient de mesurer vaut, dans tous les cas, tous les discours des candidats et autres participationnistes au scrutin du 4 mai qui, dorénavant, n'ont qu'à bien se tenir ! Mieux encore, les Ould Abbes ou encore les Ouyahia n'ont, eux, plus qu'aller se rhabiller tant les tares du système qu'ils défendent, à cor et à cri, ont été sévèrement mis à nu. Aussi, si on veut avoir une idée, même générale, de ce que les pratiques du pouvoir font dire aux gens, le mieux est de surfer aujourd'hui sur le Net où le décalage entre le discours des gouvernants et les fausses évolutions du pays se fait criant. À tout seigneur, tout honneur ! Commençons par DZ Joker, l'élu du peuple du Net : de son vrai nom Chemseddine Lamrani, cet Algérois BCBG qui apparaît avec du gel dans les cheveux et une barbichette au menton, utilise dans sa prestation le langage dialectal enrichi de son propre lexique très métaphorique. DZ Joker dit aussi "Chemssou" pour les intimes, utilise des mots puisés dans ses différentes inspirations en mettant en valeur la communication populaire que négligent, du reste, nos officiels guindés qu'ils sont dans leur arabe châtié, digne des tribunaux. Dans le titre "Mansotich" (je ne sauterai pas), il faut entendre "manvotich" (je ne voterai pas), une parodie du slogan officiel "Seme3 Soutek" (fais entendre ta voix) concocté par le ministère de l'Intérieur à grands frais. DZ Joker présente, ainsi, avec beaucoup de créativité, ce qui tient lieu de véritable manifeste pour le boycott. À un moment donné, on le voit devant un mur où il est écrit "CRB-MCA, Khawa", un tag qui rappelle le slogan des supporters des équipes adverses de la capitale : "Khawa, khawa, z'kara fel houkouma" (frères, unis contre le gouvernement), insinuant que cette rivalité entre les deux clubs est sciemment entretenue par le pouvoir. Dans cette vidéo, quelque peu mélodramatique, il évoque de manière exhaustive tous les maux qui frappent le pays, à savoir les inégalités sociales, la corruption, les systèmes éducatifs et sanitaires défaillants, le chômage, la gabegie, l'instrumentalisation de la religion, la médiocrité, le mal-être, la cherté de la vie, les harraga, etc. Avec pour fond sonore la chanson du film Gladiator de l'Australienne Lisa Gerrard Now we are free, le clip comporte pour prologue un happy end, une note d'espoir. Visionnée par plus d'un million d'internautes en 24 heures, cette vidéo postée sur YouTube fera date. C'est du jamais vu en Algérie. Et ce n'est pas tout ! Il y a également le web-humoriste Anes Tina qui nous a offert sa vision sur des élections législatives avec son pastiche du film Al Rissala en usant d'un langage geek mélangé à un francarabe désopilant. On peut citer également Kamel Labiad, un graphic designer, qui fustige, pour sa part, certains personnages de la classe politique qui, il est vrai, ne savent plus quoi faire pour devenir aussi indispensables qu'une brosse à reluire pour une chaussure. D'après lui, ces "lèche-babouches" ont suffisamment montré, jusqu'à présent, qu'ils étaient capables du pire ! Enfin, face à certains intellectuels adoubés outre-mer et qui font dans l'amalgame, ces jeunes, dont le succès n'est sûrement pas usurpé, ne peuvent être, aux yeux des centaines de milliers d'internautes, d'authentiques patriotes ! Et pour cause ! Avec leurs rimes et leur humour décapant, ils démontrent avec subtilité qu'on peut ne pas aimer son gouvernement, mais continuer à aimer son pays, qu'on peut critiquer l'action de l'Etat sans pour autant trahir la nation pour laquelle ils éprouvent, à l'évidence, une tendresse toute particulière. Il est vrai qu'il y a une sacrée différence entre un pouvoir obsolète et l'Algérie éternelle. Sans pays de rechange et ne possédant a priori qu'un passeport DZ, ces jeunes disent qu'ils n'ont pu s'offrir le luxe de rester indifférents devant l'actualité politique. Pour eux, ces vérités exigeaient, tout simplement, d'être révélées quoi qu'il leur en coûte ! Mohamed-Chérif Lachichi