Résumé : Tahar entame le récit de sa vie et demande à Kahina de l'écouter jusqu'au bout avant d'en faire un feuilleton. Il commencera par lui décrire les circonstances de sa naissance et les malheurs de sa maman depuis qu'elle avait découvert qu'il était sourd. Une aubaine pour ses ennemis. - C'était une occasion à ne pas rater pour discréditer ma mère et la rabaisser dans l'estime de mon grand-père qui la portait dans son cœur. Elle était sa préférée parmi ses belles-filles, et lui avait donné un héritier ! Ma mère laissera longtemps couler ses larmes. Elle m'avait gardé dans ses bras jusqu'au lever du jour. Et ne cessa de me caresser et de me serrer contre elle que lorsque ma grand-mère lui demanda d'aller préparer le petit-déjeuner. Elle me ligotera alors sur son dos, avant d'aller vaquer à ses occupations, et cela dura des années ! Des années durant, ma mère avait déployé des tonnes de courage pour supporter sa peine et mon handicap. Moi, par contre, je n'étais qu'une épave ambulante qui courait, jouait, sans prononcer un mot. Le monde du silence dans lequel je végétais ne m'apportait rien de neuf, si ce n'est de temps à autre le sourire triste de ma pauvre mère et son visage empreint de bonté que j'aimais caresser. Puis, un jour, tout bascula. Alors que ma génitrice me faisait prendre un bain dans la cour, j'entendis soudain quelque chose remuer dans mon oreille droite. Un bruit sourd s'ensuivra. J'ai eu très peur. Tellement peur que j'ai glissé des mains de ma mère pour courir d'un côté à l'autre de la cour en me tenant les oreilles et en hurlant. Ma brave mère me poursuivit, mais plus prompt qu'elle, je continuais à m'enfuir. Enfin, essoufflé, je m'arrêtai devant la grande porte de la maison. Un chien se mit à aboyer et je me retournai vivement. Ma mère qui ne me quittait pas des yeux s'approcha de moi et me prit dans ses bras. -Tahar, qu'est-ce qui t'arrive ? Tu as eu peur ? Je t'ai sûrement mis du savon dans les yeux. Je ne comprenais bien sûr rien à ce qu'elle racontait, mais sa voix douce que j'entendais pour la première fois pénétra dans tout mon être. Je me mis à caresser ses traits. -Allons, allons, Tahar ! Tu es tout dégoulinant d'eau et de savon. Viens que je te rince les cheveux. Elle parlait en faisant des signes, comme elle l'avait appris à le faire depuis mon jeune âge. Je comprenais chaque geste de ses mains, et chaque mimique de ses lèvres. Mais cette fois-ci, le son de sa voix me laissa perplexe. Je venais de boucler mes 6 ans. Plongé dans ma surdité, je ne savais pas que le monde extérieur grouillait de sons et de bruits. Je tentai de remuer mes lèvres et de prononcer quelque chose, mais le son râpeux qui en sortit m'effraya. Je portai la main à mon oreille droite. Ma mère remarque mon geste. Elle s'approche de moi, le regard grave. -Tahar ! Tu entends ? Comme je ne pouvais comprendre son langage, je gardai le silence. Elle retira alors ses bracelets en argent et les fit tinter devant mon oreille. Je fis un bond en arrière. Elle répéta son geste et je reculai effaré. -Tahar. Tu entends. Tu entends... Elle courut dans la maison et revint avec une assiette et une cuillère, puis s'approcha encore de moi et se mit à frapper l'assiette avec la cuillère en bois. Le bruit était très agréable à mes oreilles. Je m'approchai d'elle et lui pris la cuillère pour taper plus fort sur l'assiette, puis me mis à sauter tout autour de la cour en donnant des coups partout sur les murs, les bacs de fleurs, les bassines d'eau... (À suivre) Y. H.