Interpellé directement par les protestataires, le président de l'Arav, Zouaoui Benhamadi, a appelé les autorités "à parachever l'aspect disciplinaire et réglementaire" du champ audiovisuel afin d'éviter "les dépassements" constatés. Plusieurs dizaines de personnes, des journalistes, des intellectuels, des politiques et des militants de la société civile, se sont rassemblées, hier en milieu de journée, devant le siège de l'Autorité de régulation de l'audiovisuel (Arav), pour protester contre les dérives constatées dans certains programmes de télévision de chaînes privées, et dont la dernière victime n'est autre que le romancier Rachid Boudjedra. Présent hier à ce rassemblement pacifique, l'écrivain, qui paraissait profondément affecté par ce qui s'est passé, a confié avoir vécu l'enfer lors du tournage d'un épisode de la caméra cachée diffusé sans son consentement sur Ennahar. Pendant qu'il était en train de raconter à la foule les péripéties de son "enlèvement", allusion à l'émission en question où des armes factices ont même été utilisées pour le terroriser, il a reçu une visite impromptue du frère du président de la République, Saïd Bouteflika. Sa présence sur les lieux a surpris plus d'un et, bien évidemment, nul ne pouvait parier sur sa participation à une manifestation publique où il s'agissait justement de dénoncer une gestion calamiteuse du paysage médiatique imprimée par un pouvoir dans lequel il représente, lui aussi, un acteur majeur. Mais ce qui, visiblement, a le plus étonné les présents, c'est le fait que Saïd Bouteflika ait rejoint le rassemblement sans gardes, ni escorte. Cerné par une cohorte de cameramen et de photographes de presse, il est tout de même arrivé à se frayer un chemin parmi la foule pour aller chuchoter à l'oreille de Rachid Boudjedra son soutien par rapport au traitement qu'il a subi de la part d'Ennahar. Le frère du Président s'est refusé à toute déclaration malgré l'insistance des journalistes et a dû quitter les lieux lorsque quelques manifestants ont commencé à le conspuer. Le rassemblement s'est poursuivi par une prise de parole de l'écrivain qui est allé dans le détail en racontant la mésaventure qu'il a vécue et qu'il n'a pas hésité à qualifier d'enlèvement. "À un moment, j'ai même pensé que j'étais tombé entre les mains d'un groupe terroriste en voyant les personnes en question en uniforme des services de sécurité et des armes de poing. Je ne vous cache pas que j'étais terrorisé", a raconté le romancier qui a confirmé, à l'occasion, le dépôt de plainte qui sera introduit contre la chaîne Ennahar. Le journaliste-écrivain Hmida Layachi a pris la parole pour interpeller les autorités, les ministères de l'Intérieur et de la Justice, notamment, pour leur demander d'assumer leurs responsabilités face aux graves dérives de certains médias, tout en lançant un appel en direction des citoyens pour le boycottage de la chaîne Ennahar. Il appellera également tous les invités de cette dernière à refuser de participer aux débats et autres émissions de la chaîne. Hmida Layachi s'est montré particulièrement péremptoire en s'élevant contre "un terrorisme médiatique financé par l'argent du peuple et qui utilise la religion à des fins commerciales". Il s'est ensuite félicité de la signature de la pétition lancée sur le Net par plus de 1 000 personnes, entre journalistes, intellectuels, universitaires, militants politiques et de la société civile. L'universitaire Achour Fenni a, pour sa part, dénoncé les nombreuses atteintes à la vie privée et à la dignité des citoyens que véhiculent les programmes de cette télévision qu'il a considérée comme "étrangère à la société algérienne". Même les politiques présents au rassemblement n'ont pas été en reste et se sont exprimés pour dire leur indignation face à la dérive observée dans le traitement de l'information par la chaîne Ennahar. Djelloul Djoudi est allé jusqu'à qualifier de "méthode de Daech" les pratiques de la chaîne en question. "Il n'y a que Daech qui met le couteau sous la gorge des gens pour leur demander s'ils sont musulmans ou pas. Toutes les institutions sont interpellées pour réagir en urgence face à cette situation, à commencer par le ministère de la Communication et l'Arav", assène-t-il. Pour Djilali Soufiane, sa présence à ce rassemblement "est tout à fait naturelle". "Nous sommes aux côtés des droits des citoyens et cela signifie la liberté d'expression, la liberté de conscience et, plus encore, la citoyenneté signifie que chacun de nous doit être respecté par l'Etat, les institutions par les médias", souligne-t-il, considérant qu'il n'est pas admissible qu'une chaîne de télévision, parce qu'elle vise à faire le buzz, "piétine la dignité de quelqu'un, juste pour assurer un retour d'audience". Interpellé directement par les protestataires, le président de l'Arav, Zouaoui Benhamadi, a reçu Rachid Boudjedra qui lui a demandé de prendre position par rapport aux dérives constatées. Tout en exprimant ses regrets par rapport à ce qui se passe sur la scène médiatique, M. Benhamadi a expliqué que les textes réglementaires, régissant le fonctionnement et les prérogatives de l'instance qu'il préside, font que cette dernière s'en trouve pieds et points liés. Affirmant que la justice reste la seule habilitée à sévir pénalement, il a appelé les autorités "à parachever l'aspect disciplinaire et réglementaire" du champ audiovisuel pour en assurer la bonne organisation afin d'éviter "les dépassements" constatés. Hamid Saïdani