À quoi riment les revirements du président de la Hiise ? Pourquoi admet-il les insuffisances, les lacunes et une forme de "parti pris" de l'administration, peu après la clôture des listes électorales ? "Elle n'est ni haute ni indépendante." Cette sentence du parti d'Ali Benflis concernant la Haute instance indépendante de surveillance des élections (Hiise) est-elle en passe d'être vérifiée ? S'il faut, sans doute, se garder de toute conclusion hâtive, il reste que son premier responsable, Abdelwahab Derbal, qui s'agaçait, il n'y a pas si longtemps, des observations des experts de l'UE de la mission d'expertise des élections, se rend, de plus en plus, à la triste évidence de la réalité : ni l'administration ni les magistrats ne sont "indépendants", suggère-t-il à demi-mot. En visite, mercredi dernier à Tiaret, Abdelwahab Derbal a avoué l'existence de "lacunes" relevées dans la loi régissant la Hiise, notamment celles concernant les cas de rejet de listes sans aucune base juridique valable et le manque de temps entre le dépôt et la clôture des candidatures, "ce qui ne donne pas de délais suffisants à la Hiise de prendre les décisions appropriées". Selon ses propos rapportés par l'agence officielle, l'ancien ministre a déploré le fait que certains rejets ne s'appuyaient sur aucune base juridique, appelant, dans ce contexte, l'administration comme les autorités judiciaires "à faire preuve de discernement". L'ancien ministre a observé que "les autorités judiciaires ont souvent opté pour la facilité en s'alignant sur les décisions administratives rejetant 95% des candidatures refusées dans les différentes wilayas qu'il a visitées". Comme panacée, il plaide pour la révision de la loi électorale et la loi régissant la Hiise. En concédant que l'administration a procédé à la disqualification de nombreuses candidatures, dont le motif invoqué était qu'elles représentaient "un danger pour l'ordre public", faut-il le rappeler, sans "s'adosser à un cadre juridique", Abdelwahab Derbal avoue, implicitement, que l'administration est loin d'être neutre. Un pied de nez au gouvernement qui proclame, à qui voudrait bien l'entendre, que l'administration est garante d'une élection transparente. Aussi, lorsqu'il soutient que des magistrats s'alignent sur les décisions de l'administration sans "discernement", il admet également que leur indépendance est sujette à caution. Pourtant, lorsqu'en juillet dernier Liberté publiait en exclusivité le rapport des experts de l'UE, Abdelwahab Derbal s'offusquait que ces experts pointent du doigt comme "entraves" un processus en vue d'une élection qui réponde aux standards observés sous les latitudes démocratiques. "Ce que disent les Européens au sujet de la régularité des élections, ils ne l'appliquent même pas dans leurs pays respectifs, preuve en est qu'ils n'associent pas la classe politique dans la surveillance des élections qui se déroulent chez eux", avait réagi Derbal quelques jours après la publication du rapport. Voici ce que relevaient les experts de l'UE : "Le nouveau cadre électoral n'a pas modifié la structure de l'administration électorale. L'organisation des élections demeure de la seule compétence du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales (Micl). La création de la Hiise a permis une constitutionnalisation de la surveillance des élections. Toutefois, cette dernière ne joue aucun rôle dans l'organisation même des scrutins et ses attributions de supervision et de contrôle restent, de facto, limitées. La représentativité et l'expertise des personnalités indépendantes nommées à la Haute instance indépendante de surveillance des élections (Hiise) sont questionnées par la majorité des acteurs du processus électoral, notamment les principales organisations de la société civile, alors même que cette partie de la Haute instance doit représenter la garantie de son indépendance. La composition de la Hiise exclut, de facto, les représentants de l'ensemble des candidats ou forces politiques en compétition alors qu'ils sont les premiers concernés par l'organisation des scrutins". En guise de recommandations, les experts plaident pour l'accroissement du mandat de la Hiise, son pourvoi en moyens, mais aussi soutiennent qu'"afin de garantir la confiance de tous dans l'administration électorale, il est souhaitable de renforcer l'indépendance de la Haute instance par rapport au pouvoir exécutif et à ses représentants, en réduisant le nombre de magistrats membres, en y incluant des représentants des partis politiques/candidats". "Il serait également souhaitable de revoir les modalités de sélection des membres de la société civile afin de les rendre plus transparentes et que toutes les composantes issues de ladite société civile y soient représentées", notent-ils. Dès lors, la question est de savoir à quoi rime ce revirement du président de la Hiise ? Pourquoi admet-il les insuffisances, les lacunes et une forme de "parti pris" de l'administration, peu après la clôture des listes électorales ? À moins d'anticiper sur les protestations à venir de l'opposition, laquelle a déjà dénoncé les dérives de l'administration et l'absence de garantie, Abdelwahab Derbal confirme, malgré lui, que les élections prochaines risquent d'être entachées par un "parti pris" dont il tente de se laver les mains. Si l'exercice vise à lui accorder quelque crédibilité, lui qui traîne déjà le handicap d'avoir participé à l'Exécutif, il reste qu'il apporte de l'eau au moulin à l'opposition. Ce qui n'est pas de nature à lui garantir de vieux os à la tête de la structure qu'il dirige. Karim Kebir