: Les pays voisins ont pu ces dernières années développer leurs exportations de manière remarquable. Quels sont les leviers sur lesquels ils ont travaillé ? Qu'est-ce qui ne marche pas dans l'approche adoptée en Algérie ? Rostane Hadi : Je me contenterais de citer un seul levier tellement il me paraît critique pour nous. Ce qui est à retenir de l'expérience de nos voisins est qu'ils ont défini leur cap à 10 et 15 ans dans les principaux secteurs (avec une ambition export clairement affichée et quantifiée). Cela ne veut pas dire que leurs stratégies sectorielles sont forcément bonnes ou efficaces, mais tout simplement que les gouvernants ont un cap clairement défini. Et respecté !Ainsi, quel que soit le nouveau responsable ministériel, il n'a pas besoin de perdre du temps pour lancer ou remettre en question la stratégie initiée par son prédécesseur : il sait, à sa prise de poste, quels sont les objectifs à atteindre. À lui de montrer qu'il est en capacité d'y arriver et avec les meilleurs résultats possibles. L'Algérie a initié dans les dernières années des stratégies à grand renfort d'annonces, d'inaugurations et d'engagements. Nous constatons qu'il n'y a que très peu d'effets ou plutôt qu'aucune dynamique initiée sur le moyen-long terme n'est perceptible sur le plan des exportations. Pourquoi ? Tout simplement car il n'y a pas un Etat stratège. Nous pensons tactique et nous réagissons et mettons en place des actions et des mesures en réaction à des évolutions endogènes et exogènes à l'Algérie. Et c'est ce qu'il y a de plus néfaste !! Sans stratégie globale et sans vision d'ensemble, nous continuerons à réagir au cas par cas au lieu d'anticiper ou d'orienter les tendances : nous ne savons pas vers où nous allons et cela risque de nous perdre... Rien n'est pire pour des acteurs économiques que d'avancer à l'aveugle ou d'investir dans un contexte de sables mouvants : l'ensemble des acteurs économiques (privés ou publics, nationaux ou internationaux) ont besoin de savoir qu'ils s'inscrivent sur un chemin balisé et dont ils connaissent la destination. Au risque de répéter des évidences, il ne sert à rien de lancer des feuilles de route, stratégies et politiques sectorielles si cela : -ne s'inscrit pas dans un cap fixé à 10, 15 ans et suivi et ce quels que soient les changements gouvernementaux, -n'est pas coordonné avec l'ensemble des acteurs institutionnels, publics et privés, -n'est pas suivi dans le temps, -ne s'appuie pas sur une levée des contraintes administratives, bancaires et réglementaires, -et surtout si nous ne faisons pas confiance à nos entreprises. Cela est valable pour la stratégie export. Le Collectif Nabni propose de dissoudre l'Algex et de la remplacer par une agence de promotion des exportations au statut indépendant. Qu'en pensez-vous ? Dans le rapport Nabni 2020, il est proposé une diversification de notre économie ayant un objectif ambitieux avec une part des exportations hors hydrocarbures proche de 4% en 2020, 9% en 2025 et 20% en 2030. Ce qui signifiait une augmentation du PIB hors-hydrocarbures de plus de 65% d'ici 2020 et doublement d'ici 2023. Ce qui correspondait, en 2013 (lors de la publication du rapport Nabni 2020) à un taux de croissance moyen hors hydrocarbures de 6% par an à partir de 2015 et de 7,5% à partir de 2020. Force est de constater que nous en sommes encore très loin ! Les classements internationaux nous mettent trop souvent en queue de peloton, notamment dans la zone Afrique du Nord. Et nous pouvons continuer à contester les méthodes d'évaluation, les indicateurs pris en compte dans ces classements. Mais ceci est également valable pour tous les pays ! Et notre force à contester (et parfois contredire) les résultats de ces classements fait que nous "dépensons" beaucoup d'énergie et d'arguments, alors qu'il serait plus approprié d'orienter la mise en place d'une réelle stratégie d'exportation en comprenant comment améliorer ces indicateurs : les autres l'ont compris et y arrivent... La mise en place d'une agence indépendante de promotion des exportations est très pertinente comme orientation, mais avant d'y arriver, il y a un chemin plus ou moins long à parcourir... Le dispositif de développement des exportations s'appuie sur une multitude d'acteurs dont les rôles, responsabilités et engagements ne sont pas mis en cohérence : ministère du Commerce, Chambre algérienne de commerce et d'industrie, Agence nationale de promotion du commerce extérieur, Société algérienne des foires et exportations, Compagnie algérienne d'assurance et de garantie des exportations, Association nationale des exportateurs algériens, Association nationale "Algérie Conseil Export"... C'est donc toujours au rôle de l'Etat et des moyens mis à disposition que nous revenons, et au final à la mise en place d'une "bonne gouvernance" : a. Soit l'Etat et les institutions et organismes sont en capacité de définir, piloter et favoriser la mise en place de cette feuille de route : hors cela implique, objectivement, trop d'acteurs à coordonner au niveau national (institutionnels, agences/organismes publics et privés, acteurs économiques ...) et au niveau international : notamment les représentations diplomatiques qui doivent être les premiers promoteurs du "Made in Algeria" et qui doivent s'appuyer sur un réseau actif de la diaspora. Certains pays ont réussi à mettre en place cela en 10 ans. b. Soit l'Etat permet aux acteurs privés de se développer à l'international de manière indépendante. Et en mettant en place les mesures et actions d'accompagnement et de facilitation des échanges. Cette orientation peut permettre de créer des acteurs nationaux leaders au niveau régional, et même pourquoi pas international : il suffit de leur faire confiance ! Les deux options impliquent pour l'Algérie de profondes réformes de la gouvernance publique. (*) Rostane Hamdi est membre fondateur de Nabni. Consultant international en Stratégie, Transformation et Digital depuis 17 ans, il est notamment intervenu auprès de ministères, agences et organismes publics sur des missions d'élaboration de stratégies nationales (politique sociale, TIC et digitale, modernisation de l'administration), de renforcement de capacité, d'élaboration et mise en œuvre de modèles et feuilles de route opérationnels. La première partie de l'interview, parue dans Liberté le dimanche 04 Mars 2018, est disponible sur le site www.nabni.org