Après la liberté "surveillée" de la scène politique et le verrouillage, par nombre d'artifices, de la scène médiatique, la liberté... virtuelle est désormais, elle aussi, menacée. "Choquante" pour Amnesty International, "injustifiée et disproportionnée" pour RSF et pour Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (Laddh), la condamnation, jeudi à Béjaïa, du jeune blogueur, Merzoug Touati, à une peine de dix ans de prison ferme, assortie d'une amende de 50 000 DA et une déchéance de ses droits civiques pendant cinq ans, n'a pas laissé indifférentes les ONG. À l'unisson, elles relèvent la "sévérité" de la peine infligée au blogueur dont le tort, selon elles, est d'avoir "échangé" sur les réseaux sociaux. Incarcéré depuis janvier 2017 après avoir été arrêté pour avoir appelé, sur son compte facebook, les citoyens de Béjaïa à protester contre la loi de finances et publié sur son blog un entretien vidéo avec un porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, Merzoug Touati a été condamné pour les chefs d'inculpation "d'intelligence avec une puissance étrangère de nature à nuire à la situation militaire ou diplomatique de l'Algérie et à ses intérêts économiques essentiels" et "incitation à des attroupements non armés sur des places publiques". "Je dirais que le procès est une affaire grave vu les chefs d'inculpation (...). Nous avons assisté à un procès à charge, sur la base d'échange et de commentaires sur les réseaux sociaux, alors que beaucoup de noms, entre autres, algériens ont été cités et qui devaient comparaître à la barre en tant que témoins. Pour nous, c'est un procès disproportionné. L'instruction du dossier, bien que cela a pris plus d'une année, à été au dessous de la gravité du procès", a réagi hier Saïd Salhi. "Il est tout à fait choquant que soit infligée une telle peine à quelqu'un qui n'a fait qu'exprimer son opinion pacifique sur Internet", a indiqué, pour sa part dans communiqué, Heba Morayef, directrice d'Amnesty International (AI) pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. "En tant que journaliste-citoyen, Merzoug Touati a le droit le plus strict de rendre compte du monde autour de lui et du pays dans lequel il vit", estime-t-elle. Pour cette ONG, "l'arrestation de Merzoug Touati, son procès et le verdict contre lui sont des preuves supplémentaires que la liberté d'expression reste menacée en Algérie". Elle appelle, dans ce contexte, les autorités algériennes à "libérer immédiatement et sans condition M. Touati, prisonnier d'opinion". De son côté, RSF, qui dénonce une condamnation "disproportionnée et injustifiée", soutient qu'"une publication sur les réseaux sociaux ne saurait conduire à des peines aussi lourdes de prison ferme", non sans appeler les autorités à l'"abandon des charges qui pèsent contre le blogueur". Selon les avocats, "l'instruction a été bâclée" et à charge puisque des "personnes citées dans le PV" n'ont pas été convoquées. Mais au-delà des conditions qui entourent le procès et son déroulement, il y a lieu de se demander si la sanction, trop lourde pour un jeune au "chômage" qui, de l'avis des défenseurs des droits de l'Homme, se livrait au journalisme-citoyen, n'est pas destinée à servir d'exemple. À dissuader tous les "activistes" qui, faute d'espace de liberté, ont migré sur les réseaux sociaux, une plateforme redoutée dans nombre de pays, comme on vient de le voir avec l'incarcération d'un blogueur en Egypte, échaudés probablement par le fameux Printemps arabe. Après la liberté "surveillée" de la scène politique, le verrouillage, par nombre d'artifices, de la scène médiatique, la liberté... virtuelle est désormais, elle aussi, menacée. Est-ce la stratégie de certains cercles pour permettre les arrangements nécessaires pour 2019 dans ce climat de confusion politique, d'absence de lisibilité, sur fond de paralysie économique ? Karim K.