Sans surprise, le patron du RND, Ahmed Ouyahia, a opposé une fin de non-recevoir à l'initiative du consensus national du MSP d'Abderrezak Makri. "Si nous sommes tombés d'accord avec eux sur l'existence de difficultés sociales et économiques dans le pays et que nous faisons face à une situation internationale dangereuse, nous ne sommes pas d'accord sur l'existence de la crise politique qu'ils évoquent. Au RND, nous considérons qu'il n'existe ni crise politique ni problèmes politiques en Algérie." Autre pomme de discorde : "Au MSP qui veut d'un candidat du consensus, nous avons rappelé que nous avons déjà pris une position publique de soutenir la candidature d'Abdelaziz Bouteflika que nous appelons à poursuivre son œuvre pour la stabilité du pays et le processus de la construction et des réalisations (...) Nous disons que lorsque l'échéance présidentielle arrivera, parler du consensus serait remettre en cause et la souveraineté nationale et la souveraineté populaire." Bien avant lui, c'est le secrétaire général du FLN, Djamel Ould Abbes, de sonner l'hallali de la démarche de la formation islamiste. "Nous les avons reçus et écoutés. Et nous leur avons clairement exprimé nos réserves sur certains points, essentiellement la transition ou alors le rôle de l'armée", avait expliqué Ould Abbes à l'issue de sa rencontre avec une délégation du MSP. Même au sein de l'opposition démocratique, l'initiative du MSP, autant surprenante que curieuse, n'est pas la bienvenue. "Au lieu de revendiquer les conditions d'une compétition régulière et transparente pour garantir l'exercice de la souveraineté du peuple, des partis se revendiquant d'un système démocratique s'égarent dans des fausses et vaines pistes pour contourner cette condition sine qua non de toute sortie de crise", a commenté le RCD à l'adresse d'un parti avec lequel il a animé pendant deux ans la CLTD, passée depuis à trépas. "Le combat démocratique est une exigence permanente et intangible qui a pour but le changement du système à l'origine du désordre socioéconomique et de l'instabilité institutionnelle qui menacent l'existence de la nation (...) faute d'assumer leur part de cette exigence, celles et ceux qui se réclament de la démocratie devraient au moins éviter de compliquer la situation par des initiatives sans issue", recommande le RCD. Quant au FFS, il rappelle, un tantinet agacé de ce que l'on vienne "braconner" sur ses plates-bandes, son attachement à l'unique initiative qui vaille, à ses yeux, celle de la reconstruction du consensus national qu'il a engagée depuis 2013, mais qui se heurte à beaucoup d'obstacles. Mais si le refus des partis de la mouvance démocratique tient essentiellement à une différence d'approche et d'appréhension de la crise, le rejet des partis du pouvoir était, en revanche, prévisible. On a peine à croire, en effet, que les "décideurs", faute d'un rapport de force dans la société, concèdent à quelque compromis, notamment sur le volet politique. Ni les partis rongés par les divisions, ni la société dont des segments sont corrompus lorsqu'ils ne sont pas soumis au chantage à la sécurité, ni la société civile désorganisée et encore moins les chancelleries étrangères plus pragmatiques que jamais n'ont réussi à infléchir le régime, ni à lui faire accepter une démarche qui pourrait suggérer son échec. Une "démocratisation" en trompe-l'œil Et ce n'est pas la première fois que le régime, ébranlé une première fois par les événements d'octobre 1988, puis par l'ascension fulgurante de l'islamisme radical, s'oppose à toute sortie de crise, en dehors de l'agenda et des canons qu'il aura lui-même fixés. On se rappelle comment en 1995, il a mobilisé l'administration pour encadrer des "marches spontanées", relayées par les médias publics, à travers l'écrasante majorité des wilayas du pays, pour dénoncer le "contrat de Rome" — réunion qui avait regroupé sous l'égide de la communauté catholique de Sant' Egidio le parti dissous, l'ex-FIS avec le FLN de Mehri, le PT, le FFS, Djaballah et Ali Yahia Abdenour — qui proposait une solution politique et de compromis. Paradoxe algérien, la réconciliation préconisée à Rome, dénoncée alors, sera reprise par le régime à son compte une décennie plus tard. C'est parce que le régime avait décidé en "vase clos" d'élire un "candidat du consensus", en la personne d'Abdelaziz Bouteflika, que les autres candidats, qui avaient postulé à la magistrature suprême, parmi lesquels, le défunt Hocine Aït Ahmed, avaient été contraints à l'abandon en 1999 après avoir eu vent "du parti pris de l'administration et des services de renseignement" en faveur du candidat du consensus. En 2004, malgré l'ascension de l'ex-chef de gouvernement, alors candidat, Ali Benflis, et la constitution du groupe dit des "12", Abdelaziz Bouteflika réussira à être réélu dans une élection contestée. Deux années, après les événements de Kabylie qui avaient également ébranlé le régime, mais sans chanceler. Depuis, surtout que l'argent coulait à flots dans les caisses de l'Etat à la faveur de la hausse des prix du pétrole, à même d'assurer durablement la paix sociale à travers la distribution de la rente, toutes les tentatives de l'opposition ont été vouées à l'échec lorsqu'elles n'ont pas été combattues farouchement ou méprisées. C'est le cas de l'appel en 2013 adressé par la CLTD à l'application de l'article 88, devenu article 102, relatif à l'état d'empêchement, après la longue hospitalisation du président de la République au Val-de-Grâce. Il y a également l'appel, resté sans écho, lancé en 2014 par l'ex-chef de gouvernement, Mouloud Hamrouche ; la demande pour une audience introduite en 2016 par le groupe dit des "19", la lettre des trois ex-ministres, Ali Yahia Abdenour, Taleb Ibrahimi et le général Benyelles ou encore l'initiative de la reconstruction du FFS et celle du dernier né, le mouvement El-Mouwatana. Et la liste est loin d'être exhaustive. Tout se passe en définitive, comme si le régime, autiste devant l'Eternel, aujourd'hui plus qu'hier, a décidé d'imposer son propre "canevas" à la nation. Ce qui explique sûrement, le statu quo, l'opacité et le rejet de tout ce qui peut grenouiller le plan probablement préétabli autour du prochain rendez-vous électoral, pourtant crucial au regard du contexte national et international. Karim Kebir