Son roman est un texte dédoublé, une histoire racontée par plusieurs voix en même temps, un récit qui malmène la syntaxe et écorche le sens commun. Après deux tentatives avortées, son éditeur a enfin réussi à le mettre devant un public, lundi soir. C'était à la salle Frantz-Fanon de Riadh El-Feth, où l'association Chrysalide a l'habitude de tenir ses cafés littéraires. Lui, c'est El-Mahdi Acherchour, poète qui vient d'effectuer une demi-reconversion au roman, auteur de Lui, le livre, tout fraîchement sorti chez Barzakh. À la table qui devait lui servir de tribune, il était assis en biais, comme prêt à se dérober à tout moment. Torturé par l'idée de prendre la parole en public, de parler de lui, grillant cigarette sur cigarette, s'agitant, bafouillant des bribes de phrases, s'épuisant, passant et repassant la main dans ses cheveux, il a fini par dire quelque chose, sous la pression de Djalila, l'animatrice de la discussion. “Mon monde, c'est l'enfer”, lâche l'auteur, tout de noir vêtu. Son roman, texte dédoublé, histoire racontée par plusieurs voix en même temps, récit qui malmène la syntaxe et écorche le sens commun, est scindé en deux parties. La première est une tentative de tuer le “je” de l'auteur pour passer à celui du narrateur. La deuxième est le récit halluciné et lyrique de neuf villages qu'on peut imaginer en Kabylie. “Clin d'œil aux neuf cercles de l'enfer de Dante”, ajoute l'auteur. Et la langue utilisée ? El-Mahdi esquisse une explication — “une tentative d'échapper à l'emprise de la langue française” — avant de se ressaisir : “C'est difficile, je ne peux pas en parler maintenant.” Puis se retourne, inquiet, vers le public : “Je ne divague pas, non ?” Djalila revient à la charge : “Entends-tu des voix quand tu écris ?” “Je ne suis pas fou !” esquive encore El-Mahdi, dans un éclat de rire nerveux. Au bout de quelques dérobades, Sofiane Hadjadj, son éditeur, vient enfin à la rescousse. Prévoyant, il a réparé un texte de lui, suivi d'un autre de Maurice Blanchot, qui tente de cerner El-Mahdi. Une rencontre avec El-Mahdi Acherchour est “un entretien toujours ajourné”, avoue le texte de Sofiane Hadjadj. Enfin, on demande à El-Mahdi de lire l'un de ses poèmes. Il se retourne, sort un bout de papier de son cartable, puis entonne un poème baroque et foisonnant. Silence religieux dans la salle. Applaudissements. Sofiane Hadjadj lève enfin la séance. Subitement, El-Mahdi se retrouve devant une file de personnes tenant son livre à la main. Il signe quelques exemplaires de son roman, un sourire timide et triomphant aux lèvres. Djamel Belayachi El-Mahdi Acherchour, Lui, le livre (roman), éditions Barzakh, mai 2005, prix 350 DA. Chemin des choses nocturnes (poésie), éditions Barzakh, septembre prix 2003.