Entre poésie et prose, l'auteur dresse son monde imaginaire, le sien intime qui évoque Les neuf cercles de l'enfer de Dante. L'association Chrysalide a convié, lundi, les amateurs de bonnes feuilles à une rencontre littéraire au cercle Frantz-Fanon autour du nouveau-né d'El Mahdi Acherchour. Lui, le livre. Un roman sorti récemment aux éditions Barzakh. Une rencontre conviviale qui a réuni en un cercle intime, un parterre sommaire d'individus au centre duquel trônait l'auteur lui-même. Au centre du cercle, c'est normal qu'on se sente mal à l'aise, a fortiori quand on est amené à jouer le jeu pas si simple de débattre de l'acte d'écrire. A forte raison, le sien. Et pour goûter à cette lecture, un avant-goût nous a été donné en préambule par Selma des éditions Barzakh et Hadjira, la présidente de l'association. Fidèle à sa veine poétique, El Mahdi Acherchour a bâti ce roman en deux parties. L'une intitulée Lui, le livre suivie de De l'autre, l'autre livre. L'auteur s'est essayé, par un exercice de style assez singulier, à rendre hommage au livre et aux mots par une façon habile de raconter les choses en s'inventant des villages imaginaires, arpentant les espaces au gré de la traversée des personnages et de ces voix qui vous accompagnent au fil des pages. Une écriture libre autant que fiévreuse, excitée et intempestive, pressée, qui se passe de lourdeurs syntaxiques. «J'ai voulu raconter l'histoire du livre. Revenir à l'origine. Le livre de mon monde qui est raconté dans un cahier par quelqu'un qui écrit un livre», confie un peu confus l'auteur et d'ajouter: «Je l'ai écrit dans l'impossibilité de l'écrire. Je l'ai écrit pour tuer le je du narrateur. Je suis dans la peau du personnage. Le 1er roman est un récit qui traite de la vie de tous les jours. Le second, plus détaillé, fait référence aux 9 villages imaginaires. Ils pourraient être de vrais villages. Cela se rapproche de mon monde: l'enfer». Dans ce livre, il est question de plusieurs personnes qui cherchent leur voie. Enigmatique autant que profond, l'auteur évoque son jeu déroutant de s'inventer des mondes autant par souci d'un écrivain que celui d'un lecteur. Sa référence première reste Faulkner qui «l'intimide» en tant que père spirituel en littérature par son écriture faite d'intrigues. Et de dire: «La langue est le silence», avoue El Mahdi Acherchour. Méticuleux, modeste autant que réfléchi, l'auteur dit avoir mis du temps avant de basculer de la poésie à cette écriture, à tout cristaliser, d'autant dit-il, «ce n'est pas du bavardage, ce roman. Il est difficile de tenir 400 pages et surtout après Faulkner». Dans Lui, le livre, les personnages portent en eux des voix de mythes qui tendent à transcender la réalité pour abolir le temps. Grand amateur de philosophie et notamment de Nietsche, Acherchour évoque le «poète ce masqué» qu'il est resté. «Il y a des passages dans le livre où je les ai écrits dans la fièvre comme un assassin dans la peau d'un tueur. La littérature, je ne la dissocie pas de la vie. Cela vient du fracas qui est en moi», songe-t-il. Ame tourmentée, qui doute tout le temps vraisemblablement, El Mahdi Acherchour se dit être contre les convictions. «Je suis pour l'abolition de l'auteur, c'est indispensable. Je suis dans une littérature qui refuse le dialogue. Je l'aime isolé du monde. Mon projet est d'arriver à l'origine du mythe. Rien savoir. Comme si c'était moi qui le portait», souligne-t-il. «C'était le calme et la tempête», une phrase extraite du roman Lui, le livre peut être la synthèse de l'être trouble qu'est El Mahdi Acherchour. L'écrivain passe de «lui» au «moi» sans transition. Comme une sorte de fantôme, un revenant, cette chose «fracassante» qui est en lui et qui erre, est à la quête de sa voie inachevée, non encore mise en forme... El Mahdi Acherchour comme un personnage, déambulerait ainsi comme un somnambule sillonnant certaines «prisons» qui le rendent «tueur» malgré lui, par instinct... Entre le rêve et la réalité, le mythe et la vérité, tout cela aboutit en fait à la sacralisation du livre, du plaisir de lire, tout simplement. Ecriture imagée, bégayante, cahoteuse, c'est ce qui fait son originalité, elle vaut en tout cas la peine de s'y promener. Après deux livres de poésie: L'oeil de l'égaré (édition Marsa 1997) et Chemin des choses nocturnes (Editions Barzakh 2003), El Mahdi Acherchour pratique le périlleux métier de se connaître mieux, en écrivant. Une apnée exploratrice à découvrir!