La veuve du mathématicien n'a jamais pu savoir comment son époux a été tué et où il a été enterré. Josette Audin est décédée avec le cœur lourd. Elle s'est éteinte samedi dernier, à l'âge de 87 ans, ignorante des circonstances exactes de la mort de son mari. Elle ne pourra pas non plus être enterrée à côté de lui, car le corps de Maurice Audin, enlevé, torturé et tué par l'armée française en 1957, n'a jamais été retrouvé. Selon son fils Pierre, Josette Audin pensait au plus profond d'elle-même qu'elle ne connaîtrait jamais la vérité. "Elle est effectivement décédée sans la connaître", fait-il savoir en indiquant que les gens impliqués dans les affaires des disparitions durant la Bataille d'Alger sont "des menteurs professionnels, des dissimulateurs". Dans une déclaration à Liberté en 2017, la veuve de Maurice Audin était persuadée que les circonstances de la mort de son mari ne seront jamais élucidées. "On ne saura jamais ce qui s'est vraiment passé. Plus le temps passe, plus il sera difficile de reconstituer les faits, car les personnes qui étaient présentes à ce moment-là n'ont pas laissé de trace manuscrite. Et comme elles sont mortes, elles ne peuvent plus parler", avait-elle confié. Selon elle, tout a été fait pour dissimuler les faits. "Tout le monde s'est arrangé pour bien cacher la vérité. Il ne sert à rien de chercher des traces écrites sur ce qui s'est passé, car il n'y en a pas. Ils n'ont pas été assez idiots pour aller mettre sur papier ce qu'ils avaient fait", nous avait encore dit Josette Audin. En septembre 2018, lorsque le président français s'est rendu à son domicile pour admettre devant elle la responsabilité de l'Etat français dans la disparition et la mort de son mari et lui demander pardon, la veuve a eu une réaction mitigée. Elle avait apprécié la démarche d'Emmanuel Macron, mais en même temps, sa quête de la vérité est restée inassouvie. De 1957 à sa mort, Josette Audin a interpellé inlassablement les responsables politiques de son pays. Dans un article publié en janvier dernier, le média britannique BBC a titré "La veuve qui a réclamé la vérité à 8 présidents". Ni François Mitterrand, qui était ministre de la Justice au moment des faits, ni Jacques Chirac, engagé volontaire pendant la guerre d'Algérie, ne lui ont dit ce qui s'est passé. En 2012, François Hollande a répondu à sa lettre. Il a reconnu les faits mais à demi-mot. Audin ne s'est pas évadé, il a été tué pendant sa détention. Par qui ? Hollande ne le dira pas. En septembre 2018, son successeur a demandé l'ouverture des archives pour élucider les disparitions durant la guerre d'Algérie. Il a également lancé un appel à témoignages. Mais à ce jour, rien. Il y a un an, le journal l'Humanité avait publié le témoignage d'un ancien appelé qui dit avoir assisté à l'exécution de Maurice Audin et l'avoir enterré dans une fosse. Dans sa quête de vérité sur six décennies, Josette Audin s'est entourée au fil du temps de beaucoup de soutiens. L'historien Pierre-Vidal Naquet a animé pendant des années le comité Audin et a rédigé un livre-enquête sur l'affaire éponyme. Il avait notamment écrit que Maurice Audin a été tué par un officier du renseignement chargé de l'interroger sur son soutien au Front de libération nationale (FLN). Un témoignage édifiant a été en outre apporté par Henri Alleg. Le mathématicien Laurent Shwartz faisait partie également des soutiens de la première heure. Plus récemment, Cédric Villani, un autre mathématicien, député de la République en Marche, a été celui qui a convaincu Emmanuel Macron de se prononcer sans ambiguïté sur l'affaire Audin. Il avait d'ailleurs accompagné le président français au cours de sa visite à Josette Audin. Dans son appartement de Bagnolet, près de Paris, où elle a élevé seule ses enfants, la veuve conservait précieusement les souvenirs de son mari, ses photos et ses livres. Elle a vécu modestement, comme autrefois, à Bab El-Oued, le quartier où elle est née et a grandi, avant de rencontrer Maurice. S. L.-K.