Il arrive aux tweets du président américain Donald Trump de transmettre des messages dignes d'attention, tant ceux-ci ont le mérite de nous en apprendre sur nous-mêmes. Ainsi, selon le chef de la première puissance mondiale, la défaite de Daech serait imminente, et les pays européens se devraient de rapatrier leurs quelque 800 ressortissants djihadistes faits prisonniers en Syrie. Cette déroute en voie d'être achevée de Daech que Donald Trump suggère se vérifie en partie : le long de ces quatre à cinq dernières années, l'organisation a subi des frappes considérables qui ont eu des conséquences sur son étendue géographique et sur son leadership. Rappelons que cet étiolement doit aussi beaucoup à la Russie. Quand Moscou a procédé à la mise en place de sa propre coalition anti-Daech, fin 2015, l'équivalent mis en place par les Etats-Unis un an plus tôt avait échoué à faire la différence. "L'effet Poutine" donnera un coup de fouet à la stratégie anti-Daech déployée en Irak et, surtout, en Syrie. Tout aussi intéressante est l'exhortation de Trump à ce que les Européens "reprennent" leurs djihadistes en présence sur le territoire syrien. On sait en effet combien certains des pays mentionnés par le président américain, France en tête, voyaient d'un œil favorable le maintien à l'écart de leurs ressortissants coupables de terrorisme sur les territoires syrien et irakien. C'était une manière pour eux de garder éloignés les risques de prosélytisme, d'attaques et/ou de suscitation de vocations similaires que ceux-ci incarneraient s'ils étaient présents sur le territoire français. Mais les faits sont têtus. En dépit de supposés flous juridiques argués par certains pays, ni la France, ni le Royaume-Uni, ni l'Allemagne, ni aucun pays européen ne semble pouvoir échapper au fait que ses ressortissants rentreront chez eux à terme, et feront face à leurs justices nationales. Beaucoup de pays européens ont eu bon dos de fermer les yeux sur le développement de réseaux terroristes en Syrie : ils jugeaient que c'était là une concession admissible devant l'impératif de faire tomber le pouvoir syrien. Evidente était la réitération du précédent afghan des années 1980, lorsqu'une obsession antisoviétique de la part des Occidentaux, peut-être justifiée au demeurant, aboutira à la création de l'un des Frankenstein des temps modernes, en la personne d'Oussama Ben Laden. Mais les yeux fermés des Occidentaux vis-à-vis de formations djihadistes en action en Syrie n'a pas semblé les inquiéter outre mesure, le fait de pouvoir en finir avec Bachar al-Assad n'ayant pas de prix. On notera ainsi comment la coalition ad hoc anti-Daech mise sur pied par les Etats-Unis en 2014 privilégiera l'action en Irak avant qu'en Syrie, négligeant par ailleurs l'action requise vis-à-vis d'autres formations aux orientations pourtant aussi radicales que Daech. Aujourd'hui, Bachar al-Assad a clairement retrouvé sa vigueur en Syrie. Et il doit cela à beaucoup d'acteurs honnis par les Occidentaux. Russie, Iran, Hezbollah libanais ou encore milices à majorité chiite soutenues par l'Iran forment le pilier d'une stratégie qui a fait d'une pierre deux coups : contribuer à défaire Daech, et permettre au pouvoir syrien de se maintenir. Il est à se demander cependant si les pays occidentaux en général, et européens en particulier, sauront tirer les leçons de ces faits. Composer avec Damas va nécessiter pour eux de prendre en compte les conditions qui leur seront opposées par Bachar al-Assad. On ne peut cependant que se désoler de voir comment la simple publication par le chef d'Etat américain de deux tweets aura suffi pour rappeler les Européens à ces réalités, et bouleverser un agenda du Conseil des affaires étrangères de l'Union européenne qui devait être consacré initialement à l'Ukraine et au Venezuela. Les Européens perdent beaucoup à tant être pris de cours, jusque dans leur proche voisinage, par les Etats-Unis. Leur patente faiblesse mérite un sursaut salvateur : pour leur salut, tout comme pour l'avenir d'une Union européenne où des échéances électorales décisives se rapprochent à grands pas. B. M. (*) Barah Mikaïl, Directeur de Stractegia Consulting, professeur associé à l'université Saint-Louis de Madrid (Espagne).