Professeur à l'université Saint-Louis de Madrid, Barah Mikaïl est également directeur du centre de recherche Stractegia. En tant que spécialiste du Moyen-Orient, entre autres, il nous livre, dans cet entretien, son analyse sur la victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine. Liberté : À la surprise générale, les Américains ont choisi Donald Trump comme 45e président des Etats-Unis. Qu'est-ce qui a motivé un tel choix ? Barah Mikaïl : On pourra évidemment toujours arguer le fait que les spécificités du système électoral américain font que le vote en nombre total d'Américains ne traduit pas nécessairement le résultat qui a été obtenu in fine. Cela étant dit, au niveau national américain, aucun des candidats américains ne pouvait se targuer d'une réelle popularité, et c'est cette crise de leadership politique qui, en partie, semble avoir placé les Américains face à eux-mêmes. Au fond, le choix qui se présentait se faisait soit dans le sens d'une candidate "dynastique" et conventionnelle, soit dans le sens d'un candidat qui, malgré son excentrisme et ses provocations, avait finalement l'avantage d'être étranger au monde de la politique, de permettre aux Américains de renouer avec le rêve du "self-made man", et d'être, à bien des égards, anti-conventionnel. La quête par les Américains d'un nouveau souffle, qui reflète, d'ailleurs, à mon sens, la crise de leadership politique traversée par ledit "monde occidental" en général, est ce qui me paraît avoir bénéficié à Donald Trump. Quelles seront les implications de la victoire de Trump sur le plan géopolitique, notamment au Proche-Orient ? Il est peu aisé de savoir quelle sera l'approche favorisée par Trump au Moyen-Orient. Il faut en effet toujours séparer les promesses des candidats à la présidence de leurs actions une fois leur accès au pouvoir garanti. Pour autant, si la présidence Trump peut donner parfois l'impression de faire écho à l'ère George W. Bush, je ne crois pas qu'il faille être si craintif devant sa politique moyen-orientale. Evidemment, son tropisme pro-israélien devrait être manifeste, et la question de la création d'un Etat palestinien restera renvoyée aux calendes grecques. Sur l'Iran, il a déjà fait savoir son opposition à l'accord sur le nucléaire défendu et mené à bien sous l'administration Obama, mais je ne crois pas que cela aboutira à de graves conflagrations. Pour l'essentiel, je crois qu'il convient plutôt de chercher à comprendre comment l'obsession moyen-orientale de Donald Trump, incarnée par la lutte contre Daech et le terrorisme en général, aura des implications au-delà de cette seule région. Sur le fond, je pense que, globalement, les appels constants de Trump à respecter la souveraineté étatique seront suivis à la lettre, ou presque ; le président syrien, notamment, devrait pouvoir bénéficier de cette approche. Par extension, il sera intéressant de voir comment évolueront les relations américano-russes, voire américano-chinoises ; sans aller jusqu'à pouvoir parler d'évolution vers un monde multilatéral, je pense, cependant, que c'est sur ce plan que l'on pourrait avoir des surprises bien plus heureuses que ce qui aurait pu prévaloir sous une présidence Clinton. Le Maghreb constitue un des intérêts stratégiques des Etats-Unis sur le continent africain. L'élection de Donald Trump aura-t-elle des conséquences importantes dans cette région, concernant notamment la question de la lutte contre le terrorisme islamiste et le règlement du conflit sahraoui, sachant que le Maroc a misé sur la victoire de sa rivale Hillary Clinton ? Le hic avec Donald Trump, c'est que hormis certains cas spécifiques, l'on demeure flou sur un bon nombre de ses conceptions en matière de politique étrangère. On ne peut donc que spéculer à ce stade. Mais, effectivement, le paquet mis sur la lecture du Maghreb à travers la lutte contre le terrorisme ne devrait pas, à mon sens, varier par rapport à ce qui se pratique depuis l'administration de George W. Bush ; cela ne donnera pas forcément lieu à une relation plus cordiale avec certains pays qu'avec d'autres ; mais sur le fond, oui, les termes de la coopération antiterroriste prévaudront, et ils justifieront le soutien de Washington aux politiques des pays du Maghreb en la matière. Concernant le Sahara occidental, au-delà de certaines annonces rhétoriques, je ne pense pas que l'administration Trump essaiera de faire bouger les lignes, ni que Trump essaiera de s'approprier l'affaire des financements marocains de la fondation Clinton pour se venger du Maroc à travers le Sahara occidental ; les enjeux de la sous-région sont trop importants pour que Trump puisse se permettre le luxe d'une telle provocation. Sur la Tunisie, je crois que les choses ne varieront pas drastiquement, et il en va de même pour la Mauritanie, pays tout aussi important du point de vue de Washington pour ce qui relève de la lutte contre le terrorisme. Les seuls changements d'ampleur au Maghreb pourraient, à mon avis, s'imposer à la Libye, et il ne faudrait pas s'étonner de voir l'administration Trump appuyer l'Egypte et les Emirats arabes unis, entre autres, du fait de la nature de leurs alliances en Libye. Evidemment, si cela se fait, ce sera, à bien des égards, au détriment du gouvernement officiellement en place, celui de Fayez Sarraj, et cela pourrait bouleverser certains équilibres. Le programme politique du successeur de Barack Obama suscite beaucoup d'inquiétudes chez certaines communautés. Y a-t-il vraiment un danger pour ces communautés composant la société américaine ? En termes de communautés, dans ce cas précis, on se réfère nécessairement aux "latinos", aux "noirs africains", ou encore aux musulmans – et aux Arabes. Bien que cela soit pure spéculation, je ne crois pas que Donald Trump dépassera le cadre de la rhétorique dont il avait usé durant sa campagne ; non seulement les citoyens américains de plein droit resteront des citoyens de plein droit, mais de plus, une disposition telle que le filtrage des entrants sur le territoire américain selon qu'ils seraient musulmans ou non s'avère impossible dans bien des cas sur le plan pratique. En revanche, en termes de restrictions d'accès nouveaux à la citoyenneté pour les étrangers relevant de ces communautés, de renforcement des politiques migratoires classiques (contrôle aux frontières, visas...) comme physiques (la question du contrôle aux frontières avec le Mexique), je pense que oui, on assistera là à une forme de durcissement par rapport à l'ère Obama. De là à dire que les communautés précitées couraient un danger, oui, elles en courront un du fait de l'action de certains extrémistes qui se prévaudront de Trump, et on pourrait flirter ici avec bien des phases dangereuses au niveau social. Mais de là à en déduire que Trump favoriserait de telles politiques ou fermerait les yeux devant des abus de cette sorte, je crois qu'il y a un grand écart. Trump paie le prix de ses excès rhétoriques et de la couverture médiatique qu'il a eue, mais je pense sincèrement qu'il pourrait – et saurait – s'avérer un meilleur président que ce qui se dit généralement.