Rendue d'autant plus essentielle par la défiance populaire qui ne cesse de prendre de l'ampleur ces dernières semaines, l'urgence politique et le besoin de changement de gouvernance qui la sous-tend chassent temporellement celle économique, qui en est pourtant l'un des principaux vecteurs. Pourtant, une fois tranchée la question toute fatidique d'une rupture définitive avec la gouvernance politique en place, les choix économiques qui devront inévitablement être opérés dans les quelques mois à venir risquent d'être socialement douloureux et politiquement périlleux. D'ores et déjà, force est de relever que d'éventuels scenarii d'une "continuité économique", telle que vantée par le pouvoir encore en place, ne peuvent prêter qu'à de vives inquiétudes. Hormis l'idée vague d'une conférence nationale à tenir en cas de maintien du régime, la politique économique promise semble vouée à ne dépendre que d'une hypothétique stabilité des revenus pétroliers ou d'une reconduite à terme de la planche à billets, quitte à prendre le risque d'une grave dérive hyper-inflationniste. À moins d'une remontée spectaculaire des prix du pétrole à plus de 100 dollars le baril – ce qu'aucun expert ni dirigeant ne peut raisonnablement s'aventurer à prédire –, l'Etat n'aura, en effet, d'autre alternative pour éviter la banqueroute et un scénario à la vénézuélienne que de couper fortement dans la dépense publique. Avec en prime des choix cornéliens qu'il faudra affronter en termes d'arbitrages budgétaires et de priorités socioéconomiques. C'est que la politique budgétaire conduite jusqu'ici a naturellement fini par engendrer une véritable impasse socioéconomique : comment soutenir, sans un baril à plus de 100 dollars, à la fois l'action sociale de l'Etat qui consomme quelque 24% de son budget et celle économique et d'investissement dont dépend l'essentiel de la croissance artificielle qui permet encore de contenir la courbe du chômage ? Au plan des équilibres financiers extérieurs, le dilemme n'est pas moins cornélien. L'émergence d'une compétitivité économique locale n'étant pas pour demain, le nécessaire frein à mettre à l'emballement des importations pour empêcher l'effondrement définitif de la balance des paiements, des réserves de changes et de la valeur du dinar n'est raisonnablement pas envisageable sans une production nationale substitutive à certains achats à l'étranger, jusqu'ici incompressibles. Aussi, mettre rapidement à profit la seule année d'importation qu'offrent encore les 80 milliards de dollars d'épargne en devises qui subsistent encore constitue à ce point une véritable urgence pour enrayer l'impasse dans laquelle est mise ces dernières années l'économie nationale. Et pour ce faire, l'assainissement de la sphère économique et du climat des affaires, en faisant tomber toute contrainte bureaucratique ou autre à l'investissement privé national et étranger – y compris les fausses bonnes idées de patriotisme économique –, constitue sans nul doute la plus urgente des mutations à opérer. Des mutations qui ne pourront néanmoins pas devenir possibles sans un changement radical de gouvernance politique au préalable. Akli Rezouali