Interdit de projection par la commission de lecture relevant du ministère de la Culture en septembre dernier, le documentaire de Bahia Bencheikh El-Fegoun a été finalement présenté à la cinémathèque de Béjaïa dans le cadre du ciné-club organisé par Project'heurts. Le film Fragments de rêves de Bahïa Bencheikh El-Fegoun, qu'avait programmé les animateurs de Project'heurts dans le cadre des 16es Rencontres cinématographiques de Béajïa (RCB), a été finalement projeté à la cinémathèque de la ville malgré l'absence de visa culturel. Présenté, samedi dernier, dans le cadre du ciné-club "Allons voir un film", Layla Aoudj, la directrice des RCB a indiqué avant le début de la projection que "Le 6 septembre 2018, Bahïa était venue porter l'absence de son film. Aujourd'hui, elle est venue porter son film.". Dans la foulée, Bahïa Bencheikh El-Fegoun a déclaré être très émue : "C'est la première algérienne du film, qui est à son 22e festival, mais rien ne vaut votre présence." Pour rappel, en septembre dernier, elle avait renoncé à prendre part à un festival, qui devait se dérouler à la même période en Russie, pour être parmi les siens. C'est désormais chose faite. Six mois après, les Algériens se sont réapproprié leurs espaces d'expression. Aujourd'hui, elle souhaite que "ce film soit vu un peu partout dans le pays", a-t-elle déclaré avec insistance. Sorti en octobre 2017, le film a été projeté à Beyrouth, à Valence, à Séville, à Marseille, au Cameroun, au Burundi où il a raflé de nombreux prix. C'est en ce sens que Bahïa Bencheikh El-Fegoun avait mal supporté de ne pouvoir partager son film avec les siens. En sillonnant les villes algériennes pour rencontrer les acteurs de la société civile, qui faisaient bouger les choses dans le pays en dépit des difficultés – ils jouaient au chat et à la souris avec les policiers, les gendarmes, les fonctionnaires bureaucrates – elle portait ce projet qui lui tenait à cœur comme ce bébé, qui était dans son ventre : ma fille a aujourd'hui 6 ans – elle ignorait assurément que les mots de ces acteurs allaient résonner quelques années plus tard dans les rues de toutes les villes algériennes. En effet, les mots, exprimés depuis un mois par des millions d'Algériens, dans les quatre coins du pays, étaient déjà là, l'un de leur rêve s'est réalisé : "Mon rêve, dira l'un des protagonistes du film, c'est que les Algériens sortent tous dans la rue." Tout en poursuivant "Moi, j'arrache ma liberté" ; "Il est impossible que ce pouvoir perdure"; "J'exerce mon droit à manifester pacifiquement." Et de faire le parallèle avec l'Europe : "J'ai fait deux prisons depuis que je suis rentré illégalement dans 5 pays européens. Je n'ai pas été insulté, jamais humilié, encore moins frappé." Pourquoi on humilie l'Algérien ? s'est interrogé alors ce harag. Le film a donné également la parole à un journaliste de la radio locale de Tébessa et poète. Il s'interrogeait dans l'une des émissions pourquoi il n'y avait pas de vendeurs de roses ou de fleurs dans la ville. La réalisatrice, qui avait filmé ses moments de doute, voire de détresse, l'a accompagné dans un cimetière de la ville non pas pour rendre visite à un être cher, qui y est enterré mais une sépulture d'un genre particulier. Le poète y a mis sous terre ses poèmes, sa poésie car il avait perdu foi dans cette Algérie qu'il n'aime pas mais qu'il veut construire. Il était aussi à l'étroit dans cette radio publique, où exercent des travailleurs de la radio non pas des gens de radio. Il doit se réjouir aujourd'hui en voyant que les Algériens non seulement cultivent les roses mais ils les offrent aux policiers. Et que la poésie renaît en témoignent les chansons, les slogans, les jeux de mots, qui font le bonheur des Algériens et suscitent l'admiration de l'opinion publique internationale. M. Ouyougoute