La commission de visionnage n'a pas octroyé un visa culturel au film et ce, sans donner aucune explications officielle... Ce soir du 6 septembre 2018, la cinémathèque de Béjaïa qui devait abriter, en clôture la projection en avant-première algérienne du tout nouveau documentaire de Bahia Bencheikh El Feggoun n'aura pas lieu. Que s'est il passé? La copie n'est pas arrivée? La réalisatrice a retiré son film? Que nenni! les RCB qui nous ont habitués depuis 16 ans maintenant à un professionnalisme sans faille - ce qui dérange beaucoup certains-viennent encore une fois de recevoir un coup de massue sur la tête. Dans un communiqué lu en public par Leila Aoudj, directrice artistique des RCB il est annoncé: «Dans un contexte où le cinéma algérien est de plus en plus menacé, l'association Project'heurts, organisatrice des RCB n'a pas reçu le visa culturel pour sa projection (le documentaire Fragments de rêve), sans aucune argumentation de la part de la commission de visionnage», par conséquent, ajoute-t-elle un peu plus loin, «les organisateurs décident de l'arrêt des RCB jusqu'à ce que les conditions de libre exercice soient assurées «autrement dit, de bénéficier de toutes les garanties pour exercer son travail en toute liberté, les RCB étant une manifestation indépendante, rappelons-le, qui est censée donc choisir sa programmation sans l'ingérence du ministère. Aussi, précise-t-on dans le communiqué lu par Leila Aoudj: «N'ayant aucune information sur cette commission chargée d'octroyer les visas culturels pour la projection des films, ni sur les critères d'octroi ou non de ces visas, une demande de recours a été adressée par les RCB au ministère de la Culture, sans réponse à ce jour des autorités concernées. L'équipe des RCB prend acte de cette décision et compte agir dans le cadre du respect de la loi. (...) la programmation a toujours été effectuée dans le cadre du respect des valeurs démocratiques et du respect de la dignité humaine. Conscients de la nécessité d'une réglementation dans l'attribution des autorisations de projection de film, il demeure indispensable d'avoir accès aux critères d'attribution en toute transparence. De Beyrouth au Burundi Ne pouvant actuellement plus disposer de leur liberté de choix de films, les RCB considèrent ce non-octroi de visa culturel sans aucune argumentation comme une atteinte à la liberté d'expression. Emue, la réalisatrice Bahia Bencheikh El Feggoun a salué le travail important que font les RCB en indiquant: «Je voulais saluer votre courage d'avoir osé montrer ce film, d'autres ne l'ont pas eu.» Et de souligner: «J'attendais ce moment. Le film est fini depuis octobre 2017. Donc ça fait 11 mois. C'est important aussi que ca se sache, qu'il circule dans le monde, le film a été projeté à Beyrouth, à Valence, Séville, au Cameroun, au Burundi où il a eu le Grand Prix du meilleur documentaire, en Sardenne où il a eu le Grand Prix du festival, dans un festival du cinéma palestinien qui, pour moi, avait beaucoup de sens. C'était la première fois que le Grand Prix est décerné à un réalisateur non palestinien. Il passe prochainement à Marseille. J'aurai pu être là en Russie, mais j'ai fait le choix d'être ici et le porter parmi les miens. Ça me fait mal de ne pas pouvoir partager mon film parmi les miens. Non pas que le film ne rencontre pas son succès ailleurs, car quand il parle de justice et de liberté, il s'agit vraiment de valeurs universelles. Sauf que là, le film parle de nous, de vous. Ça me tenait à coeur de le partager avec vous. Mais voilà, c'est notre réel...» a-t-elle conclu avant que le public debout dans toute la salle n'applaudisse. Et de lire un très beau poème intitulé Le droit de rêver de l'Uruguayen Eduardo Galeano. Abysses de l'ignorance et de la hogra Pour rappel, il y a deux ans, en 2016, Vote off, le documentaire du réalisateur algérien Fayçal Hammoum avait fait également les frais de ce comité de visionnage en subissant les foudres de la censure. Une question s'impose: que se passe-t-il actuellement en Algérie? Devrions-nous également parler de la censure du film de Bachir Derrais sur Larbi Ben M'hidi dont la sortie est interdite par...le ministère des Moudjahidine sans oublier le long métrage Alger by night de Yanis Koussim dont la sortie est également interdite avant même qu'il ne soit terminé, car jugé sans doute contraire aux moeurs algériennes? Un film dont le ministère de la Culture refuse d'apposer son nom, tant qu'il n'est pas revu et corrigé à son goût. Mais au nom de qui et de quoi peut -on décider à la place de l'Autre? Que fait -on alors de la place et de la liberté de création d'un artiste? On les jette aussi à la poubelle? Qui pourrait dire ce qui se passe dans ce pays qui sombre de plus en plus dans les abysses de l'ignorance, de la hogra et des idées moyenâgeuses? «Nous aimons le film. Nous n'allons pas nous autocensurer. Car ça risque de venir alors. Mais on refuse cette idée», a tenu à faire savoir Abdenour Hochiche président de l'association Project'heurts. Fragments de rêve, note-t-on, donne la parole aux acteurs et leaders des mouvements sociaux en Algérie qui agissent depuis 2011. On y verrait notamment, Tahar Belabbès leader du mouvement des chômeurs du Sud et Tarek Mameri des médecins grévistes...Avec cette énième censure, l'Algérie officielle, qui préfère chanter le «Tout va bien madame la marquise», prouve sa fragilité en voulant à tout prix museler les voix qui s'élèvent pour revendiquer ses droits. Frantz Fanon qu'on idolâtre en Algérie n'aspirait-il pas à la légalité entre les peuples et de facto au recouvrement des droits des individus, et notamment sociaux, culturels, véritable indépendance contre toute forme de domination? Pourquoi n'a-ton donc pas censuré pendant qu'on y est le film Fanon hier et aujourd'hui de Hassene Mezine projeté également en ce 6 septembre? Sans doute que le monsieur du comité de visionnage ne sait pas lire entre les lignes et ne connaît pas véritablement à sa juste valeur ce psychiatre qui a tant donné pour l'Algérie et dont la parole est aujourd'hui éminemment d'actualité...une parole qui raisonne encore très fort, mais qu'on préférerait sans doute oublier. «Sommes-nous dans un pays auquel on a interdit un avenir?» se demandera un internaute. Tout porte à croire qu'on veuille imposer un nouvel ordre de colonialisme en asservissant les esprits. En somme briser les rêves...