Le professeur, spécialiste en droit constitutionnel et international, Madjid Benchikh, qui était, hier, l'invité des débats à l'université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, a prévenu contre l'organisation rapide d'une élection présidentielle qui risque de laisser en rade l'aspiration du mouvement populaire, à savoir le changement radical du système. "Il ne suffit pas d'aller vers des élections pour dire que nous sommes dans une construction démocratique et qu'on a répondu à l'aspiration du peuple. Vouloir aller rapidement vers la tenue d'une élection présidentielle, c'est accepter d'abandonner 90% de la revendication populaire qui consiste en un changement radical du système. C'est même accepter de perdre à l'avance", a déclaré le professeur Benchikh tout en mettant en avant l'impossibilité d'aller vers une élection libre en seulement trois mois. "Organiser une élection présidentielle en trois mois voudrait dire qu'elle sera organisée en s'appuyant sur la même administration actuelle qui est l'élément principal de la fraude", a argumenté l'ancien doyen de la faculté de droit d'Alger, qui a plaidé, plutôt, pour une transition d'environ une année, et qui passe par la mise en place d'une Constituante. "Il serait plus judicieux d'aller vers une Constituante qui va permettre une refondation de l'Etat et la préparation d'une élection libre par la suite, que vers une élection présidentielle", a-t-il expliqué. Sur sa lancée, le professeur de l'université française de Cergy-Pontoise n'a pas hésité à critiquer, à la fois, ceux qui ne cessent d'appeler l'armée à intervenir dans ce processus de changement et ceux qui plaident pour l'application de l'article 102 de la Constitution. "On ne peut pas mener un processus démocratique tout en appelant l'armée au secours et on ne peut pas, également, comme le réclament les juristes, s'accrocher à un article d'une Constitution en lambeaux, qui n'a jamais été respectée, qui a même de tout temps été violée et qui est loin d'être l'émanation des aspirations populaires", a-t-il développé, ajoutant que ce n'est, bien évidemment, pas "à partir de constructions théoriques à froid, de pourparlers autour d'une table et encore moins d'une conférence nationale que sortira la solution". "Il est trop tôt pour envisager des solutions dans le détail, c'est là une entreprise très difficile ! Il faut organiser une mobilisation très forte, et c'est de cette mobilisation que naîtra la solution", a-t-il estimé, non sans souligner que de toute manière, le rapport de force évolue, certes, mais reste encore insuffisant pour refonder l'Etat. "Transformer un Etat qui s'est construit depuis 57 ans à base de coup de force et qui s'est perpétué avec des coups de force est une tâche titanesque qui ne se concrétisera pas en seulement 5 à 6 semaines de mobilisation", a jugé Madjid Benchikh, rappelant qu'"avec autant d'années d'existence, le système est profondément inscrit dans le tissu social" et, de surcroît, a-t-il relevé, n'est pas seulement constitué de pièces apparentes, mais aussi de pièces non apparentes. "Le système politique algérien a changé plusieurs fois sans que sa colonne vertébrale soit atteinte, et c'est pour cela qu'il est vital aujourd'hui que la mobilisation populaire se poursuive et qu'elle doive se fixer des objectifs", a-t-il préconisé, non sans noter l'évolution qui se décline à travers ce qu'il qualifie de "dislocation" des pièces apparentes du système, telles que le FLN, le RND, l'UGTA et bien d'autres encore. Samir LESLOUS