Le "dialogue avec les institutions" et la tenue de l'élection présidentielle "le plus tôt possible" sont rejetés par la rue. Les slogans scandés hier par les Algériens, n'étaient guère favorables au chef d'état-major de l'armée. Au onzième vendredi de mobilisation populaire pour le départ du système politique, les Algériens ne voient toujours pas le bout du tunnel. Plus de deux mois après la démission d'Abdelaziz Bouteflika, le pays se trouve dans une impasse politique. Au début du mouvement populaire, le 22 février dernier, tout allait pourtant dans la bonne direction. L'ancien président de la République faisait concession sur concession jusqu'à accepter de démissionner le 2 avril, contraint par l'ampleur de la mobilisation populaire. Avant cela, et après chaque vendredi de mobilisation, le pouvoir d'Abdelaziz Bouteflika, pourtant bien ancré depuis 20 ans, s'écroulait au fil des jours jusqu'au départ de son fondateur. Elément central de ce jeu de pouvoir, l'armée changeait de position au gré des événements. Déplacement après déplacement, le chef d'état-major de l'ANP ajustait son discours. D'abord menaçant, Ahmed Gaïd Salah a fini par se ranger, du moins tactiquement, derrière le peuple. Il a même fini par se retourner contre son éternel allié, l'ancien chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika. Le deal semble être rompu entre les deux hommes. Mais c'était trop tard : les Algériens ne se suffisaient plus de cela. Pour la majorité des Algériens, le seuil des revendications monte. Alors que le chef de l'armée pensait que les manifestants allaient se contenter de la démission d'Abdelaziz Bouteflika et de quelques éclats juridiques, il s'est rendu compte que ses calculs étaient faux. Parmi les manifestants et l'ensemble de l'opposition, un consensus se dégage pourtant depuis des semaines. Les Algériens, qui ne font plus confiance aux figures de l'ancien système, ne demandent pourtant rien d'autre qu'une période de transition politique et la mise en place d'un gouvernement de compétences nationales qui aura pour seule mission de préparer de vraies élections. Au lieu de gagner du temps pour sortir le pays de la crise, le pouvoir s'accroche à une solution constitutionnelle déjà compromise. Le chef d'état-major de l'ANP, qui a habitué les Algériens à des adresses hebdomadaires en deux temps (l'une le mardi, l'autre le mercredi pour recadrer celle de la veille), ne lâche désormais plus rien. Pour lui, qui a changé de discours puisque d'un soutien clair au peuple, il s'oriente vers un arbitrage entre "les institutions de l'Etat et le peuple", il ne peut y avoir d'autre solution hors Constitution. Puis, l'homme qui voit l'ombre du général Toufik partout dans les manifestations, et surtout derrière les slogans qui lui sont hostiles et qui deviennent de plus en plus fréquents, insiste sur le maintien de l'élection présidentielle. Il sait pourtant que tenir l'élection présidentielle dans les conditions actuelles, marquées par un refus populaire et le refus d'élus et de juges de préparer et d'encadrer le scrutin, est un pari risqué. Dans son dernier message, Gaïd Salah, qui prône le dialogue avec le pouvoir en place, a fait une nouvelle concession en évitant de donner une date précise quant à la tenue du scrutin présidentiel. Mais il insiste sur la nécessité d'élire "le plus vite possible" un nouveau président de la République qui devra "satisfaire" les "autres demandes" du peuple, à savoir un changement profond du système. Devant ce refus d'écouter le peuple, les demandes des manifestants commencent désormais à s'orienter vers le quartier des Tagarins, siège du ministère de la Défense nationale. Les slogans portés hier par les Algériens, aux quatre coins du pays, n'étaient guère favorables au chef d'état-major. Des voix commencent à se faire nombreuses dans la rue pour réclamer le départ d'Ahmed Gaïd Salah, tout en mettant en relief l'alliance indéfectible entre le peuple et l'institution militaire. Le jeu se corse et les semaines à venir seront décisives. Ali Boukhlef