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Les produits chinois inondent le marché algérien
Ils annoncent la mort de l'industrie textile nationale
Publié dans Liberté le 28 - 07 - 2005

Ils sont moins chers car la main-d'œuvre en Chine est dix fois moins coûteuse. Les consommateurs en profitent. Mais cette invasion de biens made in China est en train d'achever le restant de l'outil productif. Usines et ateliers ferment. On licencie dans le secteur. Ce désastre est dû à des erreurs de stratégie industrielle. Explication.
Des tee-shirts à 500 dinars, des pulls à 100 dinars, des baskets à 700 dinars, des ensembles pour enfants entre 700 et 800 dinars… Au Bazar de “Dubaï”, non loin de l'aéroport international d'Alger, au marché du 1er-Mai, dans les magasins des rues d'Alger, les produits “made in China”, très prisés, largement moins chers que la production locale, envahissent le marché algérien. L'Algérie n'est pas encore membre de l'Organisation mondiale du commerce et pourtant elle enregistre déjà un déferlement des produits chinois sur son marché. Très pessimiste, M. Réda Hamiani, le patron de la célèbre marque de chemise Redman, explique que “devant la production chinoise dont la couverture des besoins du marché en matière de vêtements va passer de 29 à 50% rien qu'aux Etats-Unis, il faut s'attendre à ce que les dernières entreprises encore en activité décident de l'arrêt de leurs ateliers”.
Des pays comme l'Algérie ne pourront jamais se battre sur les coûts. “C'est perdu d'avance”, soulignent des professionnels du secteur. C'est que le salaire d'un ouvrier chinois est 10 fois plus bas qu'en Algérie, au Maroc et en Tunisie. La présence chinoise sur le commerce local est visible un peu partout à Alger. Dans toutes les grandes villes du pays, les quartiers où le trabendo est florissant sont en train de changer de physionomie avec l'installation permanente de commerces chinois qui exercent dans l'informel.
Quelque 3 000 emplois sur 250 000 ont été supprimés dans le secteur textile tunisien, principal poste d'exportations du pays, depuis le démantèlement des accords multi-fibres en janvier dernier, selon un bilan officiel publié récemment. En Algérie, difficile d'obtenir des chiffres sur l'impact de ce déferlement des produits chinois. Ce qui est sûr, c'est que “la descente aux enfers” du secteur du textile en Algérie ne date pas de janvier dernier, date du démantèlement des accords multifibres.
Le secteur connaît une crise extrêmement grave depuis une quinzaine d'années. Fortement concurrencé, par les produits importés (95% des textiles consommés en Algérie sont des produits d'importation, selon certaines sources), notamment la friperie et une contrefaçon endémique, le secteur du textile public et privé accuse le coup. Aujourd'hui, une grande majorité s'est convertie dans l'import-import.
Les importations ne se font plus par des valises, mais par des conteneurs. “Nous sommes confrontés à une conjoncture qui encourage l'achat et la vente en l'état”, regrette M. Réda Hamiani. Un constat partagé par l'entreprise appartenant à M. Refad qui, lui, a préféré carrément changer d'activité. “Impossible de concurrencer les Chinois et la contrefaçon”, reconnaît-il. “Le marché est totalement déstructuré par la concurrence induite par les importations massives de
produits contrefaits et de friperie”, soulignent ces deux professionnels. Selon certaines sources, le montant de ces importations avoisine les 6 milliards de dinars par an.
Les perspectives du secteur algérien sont sombres
“La future adhésion de l'Algérie à l'Organisation mondiale du commerce, et l'entrée en vigueur de l'accord d'association avec l'Union européenne menacent le secteur d'une disparition totale ou partielle.” C'est la conviction quasi unanime des professionnels du secteur. Le démantèlement tarifaire de la confection textile débutera deux ans après l'entrée en vigueur de l'accord et s'échelonnera sur 10 ans, explique-t-on. Le secteur public est très sévèrement touché par la récession qui touche le secteur. On estime, par exemple, que plus de 50% des unités de confection ont été fermées.
Selon Mouloud Hedir, la production du secteur public par rapport au secteur privé a baissé en valeur absolue, mais il a surtout perdu en parts de marché. Sa part du marché de textile, par rapport au secteur privé, est passée de 64 à 16 entre 1999 et 2001.
Cette industrie est principalement une industrie de transformation de produits importés et ne participe pas à la valorisation de produits primaires ou industriels. Cette absence d'intégration verticale explique, entre autres, sa non-compétitivité. L'indice de la production du secteur public s'est effondré, passant globalement de 100 à 28,5 sur la même période.
Le secteur privé, même s'il a résisté durant les premières années, a vu sa production reculer de 35%. Le secteur privé compte aujourd'hui une centaine d'entreprises contre plus de 1 900 avant 1993. C'est essentiellement dans la confection-bonneterie pour le marché national que le secteur a consacré son développement. En raison de la concurrence induite par les importations massives de produits contrefaits et de friperie, la production de la confection-bonneterie a été divisée par 2,5 depuis 1990.
Le secteur des textiles a perdu quelque 67% de ses effectifs employés depuis 1990, consécutive aux différentes opérations de restructuration des industries publiques et la fermeture et/ou reconversion des usines privées. La part de la production textile sans la production industrielle totale a régressé de 8,7% à 4,8% entre les années 1990 à 2001. “L'endettement du secteur public s'élève à plus de à 15 milliards de dinars”, note Mouloud Hedir qui précise “qu'un grand nombre de ses unités de production ne se maintient que par l'appui bancaire avec la bienveillance des autorités”.
L'indispensable recherche de partenariat
L'industrie textile algérienne reste totalement extravertie. Pour fonctionner, cette industrie doit importer la plus grande part de ses besoins en matières premières. De ce fait, elle s'apparente à du processing, c'est-à-dire à une simple transformation de matières importées. M. Réda Hamiani parle d'erreur stratégique au sujet du développement du secteur. La logique, dit-il, “aurait dû placer cette industrie en aval de la pétrochimie, pour lui permettre de bénéficier plus tard d'un avantage comparatif : production de fibres polyester et acrylique”.
Le défaut de réalisation de cet investissement fondamental a mis l'industrie textile algérienne en situation de grande dépendance vis-à-vis des fournisseurs extérieurs. La valeur ajoutée locale du secteur est restée en conséquence contenue dans les limites imposées par cette sujétion vis-à-vis de l'extérieur. Une autre erreur de stratégie, lourde de conséquences du point de vue de M. Réda Hamiani, a été la dispersion des usines sur tout le territoire national.
Cette politique a empêché la réalisation des économies d'échelle et des synergies qui auraient pu résulter de la constitution de pôles textiles réunissant un ensemble d'activités liées par une relation technique évidente, à l'image de ce qui s'est fait en France avec la spécialisation de la région lyonnaise pour la soie, de Rouanne pour la bonneterie et de Roubaix pour la filature.
La même logique se trouve dans le schéma d'implantation de cette industrie en Italie. Sur le plan technologique le constat, notamment, est accablant pour l'industrie publique : le parc machine est obsolète. La technologie utilisée remonte aux années 70 à 75, alors que depuis cette période le secteur a connu des évolutions technologiques importantes qui ont amélioré considérablement les performances des équipements. “À titre d'exemple, aucune usine textile en Algérie n'est équipée d'un système de coupe au laser, alors que cette technologie est actuellement extrêmement répandue, voire banalisée dans les autres pays”, soutient M. Hamiani.
Dans le domaine du tissage, les deux tiers des métiers à tisser sont des métiers à tisser à navettes de l'ancienne génération dont la vitesse ne dépasse pas les 190 coups/minute. De plus, une partie des métiers à tisser est limitée à la petite laize (0,90 m), alors que la demande du marché exige essentiellement la moyenne laize (1,50 m) et la grande laize (2,50 m), notamment dans les cotonnades et les soieries.
“Notre secteur est de plus en plus éprouvé par l'évolution de la consommation, cette dernière est devenue un duel”, affirme Réda Hamiani. Plus explicite, le patron de Redman ajoutera que, “d'une part, les titulaires de revenus importants boudent les produits locaux, optant pour satisfaire leurs besoins vestimentaires pour des articles importés et, d'autre part, les consommateurs à faibles revenus se tournent vers les vêtements bas de gamme importés d'Asie du Sud et vendus bon marché”. Finalement, le dilemme pour l'industrie locale réside dans son incapacité à produire ce qui est attendu par la clientèle en matière de qualité et de mode et à moindre coût par rapport à la concurrence. Du coup, selon les avis des professionnels, “la recherche de partenariat s'avère indispensable”. Bien plus, soulignent-ils, “cette condition est un préalable à toute sortie de crise”.
L'Algérie absente des flux d'exportation
Le commerce mondial des produits textiles représente quelque 6 à 7% de l'ensemble des échanges internationaux de marchandise, soit 342 milliards de dollars en 2000, assuré à 60% par les pays en développement. La Chine se taille la part du lion. “L'Algérie est absente des flux d'exportation internationaux de textiles”, affirme Mouloud Hedir.
Une prolongation de la situation actuelle, selon M. Hedir, avec les perspectives d'une ouverture commerciale encore accélérée risque d'induire un affaissement extrêmement dangereux. La future adhésion de l'Algérie à l'Organisation mondiale du commerce risque d'engloutir le secteur. Des mesures de lutte contre la contrefaçon prennent donc aujourd'hui un caractère d'urgence.
M. R.


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