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Main basse sur l'Afrique
LE GEANT CHINOIS S'EST REVEILLE
Publié dans L'Expression le 09 - 11 - 2006

«Peu importe que le chat soit noir ou blanc, l'essentiel est qu'il attrape la souris.» Deng Xiao Peng
Le gouvernement chinois a tenu à marquer d'un éclat particulier le troisième Forum de la coopération Chine-Afrique qui s'est déroulé à Pékin du 3 au 5 novembre. Le sommet organisé à l'occasion de ce forum a réuni 41 chefs d'Etat et de gouvernement ainsi que des représentant officiels de 48 pays africains ayant établi des relations diplomatiques avec la Chine. Pékin entend prouver ainsi l'adhésion massive des dirigeants africains à une politique de développement qui prend le contre-pied des pratiques occidentales.
Troisième Etat du monde par sa superficie, la Chine est, avant tout, une civilisation de près de 1,3 milliard d'hommes qui se répartissent entre la Chine populaire et d'importantes diasporas chinoises, présentes dans tout le Sud-Est asiatique, en Océanie, et un peu partout dans le monde. Durant des siècles, la Chine a considéré qu'il n'y avait qu'un seul Etat sur la planète, le sien. En dehors de la Chine, le reste était peuplé de barbares. L'empereur chinois se considérait comme le maître de l'univers terrestre.
Troisième importateur et quatrième puissance industrielle de la planète (elle a dépassé la France et talonne l'Allemagne), la Chine a enregistré en 2003 son meilleur taux de croissance depuis 1996, soit 9,1%. Puis 10%, en 2003, 16,4% en 2004 et 11% en 2006. Depuis le lancement de la réforme économique, à la fin des années 1970, par Deng Xiao Peng, la croissance galopante est soutenue par des secteurs de pointe, comme l'informatique, la robotique ou les biotechnologies, et profite largement à d'autres secteurs. Elle a été favorisée par un changement structurel en profondeur, qui concerne aussi bien le système des prix, que le système fiscal La raison de cet emballement de l'économie chinoise est directement liée à ses ZES, cinq Zones économiques spéciales en Chine du Sud-Est créées à l'initiative de Pékin au début des années 80. Attirées par la légèreté des charges sociales, la flexibilité des usines et par une main-d'oeuvre inépuisable, bon marché et disciplinée, les entreprises étrangères délocalisent de plus en plus en Chine, car la Chine entend bien profiter du savoir-faire occidental surtout en ce qui concerne les secteurs de pointe. En 2003, le pays tient la palme des investissements étrangers, l'équivalent de 53,5 milliards de dollars, 60% des investissements proviennent de la diaspora chinoise, devant les Américains et les Japonais. Mais la Chine n'est pas seulement un exportateur hors pair, c'est également un acheteur fiévreux qui achète de tout à travers le monde: 450 milliards de dollars d'achat en 2003 pour presque 500 milliards de dollars de vente.
La Chine qui possède l'arme nucléaire depuis des décennies a, le 15 octobre dernier, envoyé dans l'espace, Yang Liwei, son premier «taïkonaute». Les Chinois ont inauguré en 2003 le plus haut gratte-ciel du monde (1/2km). Ils produisent 75% des montres et horloges de la planète, 70% des jouets, ce qui n'est pas trop surprenant; mais aussi 83% des tracteurs, 60% de la pénicilline, 55% des appareils photo, et la moitié des ordinateurs portables qui fonctionnent dans le monde. Selon l'analyste financier, Goldman Sachs, la Chine sera en 2025, le premier PNB mondial avec 44.453 milliards de dollars devant les Etats-Unis avec 35.165 milliards et l'Inde 27.803 milliards. En 2005, plus de 85 millions d'internautes, plus nombreux que les Américains.
La Chine a besoin de beaucoup de pétrole, l'Afrique est son réservoir. On estime que le nombre d'automobiles devrait quintupler en Chine. Actuellement, la Chine consomme 0,8 tonne de pétrole/habitant/an (Les Américains consomment 10 fois plus). Que se passerait-il, cependant, si les Chinois se mettent à consommer seulement deux tonnes/habitant/an? On dit en Occident -une manière de la freiner- qu'il faudrait 5 planètes! La Chine est déjà une grande puissance sur le plan politique, et elle deviendra, à l'avenir, une grande puissance industrielle et économique. Le Sommet de Pékin s'est clôturé dimanche 5 novembre après l'adoption de deux documents qualifiés d'historiques: la Déclaration de Pékin, et le Plan d'action de Pékin (2007-2009). La déclaration de Pékin situe le contexte d'une coopération entre «le plus grand pays en développement du monde» et «le continent regroupant le plus grand nombre de pays en développement». Elle exhorte les pays développés à «accroître l'aide aux pays africains [...] afin de renforcer la capacité de celle-ci à combattre la pauvreté, et de l'aider à réaliser les objectifs de développement du millénaire définis par les Nations unies.» Elle demande que la réforme de l'ONU permette le «renforcement de son rôle», réaffirme celui de l'Assemblée générale, qu'elle la conduise à se pencher davantage sur la question du développement et réserve une plus grande place aux pays africains au sein du Conseil de sécurité et dans les autres agences de l'ONU. Par ce sommet, la Chine définit, écrit Renaud Delaporte, les bases d'un partenariat stratégique winn-winn; gagnant-gagnant, à long terme avec les Etats africains, tant sur le plan économique que sur le plan diplomatique. Le sommet organisé à l'occasion de ce forum a réuni 41 chefs d'Etat et de gouvernement. Pékin entend prouver ainsi l'adhésion massive des dirigeants africains à une politique de développement qui prend le contre-pied des pratiques occidentales.(2).
«D'un point de vue économique, si l'Afrique dispose de matières premières essentielles au développement de la Chine, qu'importe que la population d'un pays ne gagne que quelques euros par jour, si ces euros tombent dans les caisses des fabriques chinoises. Multipliés par un milliard de clients, ce sont des milliards d'euros qui aboutissent chaque année dans les ateliers textiles, de plasturgie ou de métallerie de l'Empire du milieu. Rares sont les marchés au fin fond des villes, des brousses ou des savanes dans lesquels ne figurent aucun vêtement, ustensiles de cuisine ou simples outils estampillés made in China appréciés par les populations locales.
Avec ses grossistes et ses distributeurs installés dans presque tout ce que le tiers-monde compte de localités marchandes, la Chine s'est créée une logistique puissante, essentielle dans le combat économique qu'elle mène aujourd'hui, se forgeant une avance quasiment irrécupérable. Forte de cet atout, la Chine peut se permettre d'acquérir des matières premières dans des conditions économiques respectables: ce n'est certainement pas un hasard si Pékin a annoncé, fin octobre, la construction de cinq nouvelles plates-formes portuaires. À terme, cinq nouveaux Anvers».
Dans ce contexte, les contrats annoncés -qui portent sur 1,9 milliard de dollars- le doublement de l'aide de la Chine à l'Afrique en trois ans et l'annulation de dettes non précisées sont une goutte d'eau à côté des retombées potentielles. De plus, depuis quelques années, l'arrivée de la production chinoise sur le continent a déjà fait ses premières victimes dans l'industrie textile du Maghreb, certains diplomates africains présents au Sommet de Pékin se sont déjà inquiétés de ce que le flux des produits manufacturés bon marché, de la Chine vers l'Afrique, paralyse l'industrie locale. Politiquement, en proclamant la nécessité d'accroître le rôle de l'Afrique dans les institutions internationales, la Chine accélère le développement d'un réseau d'alliés, commencé lors des précédents forums, dans le bras de fer qui l'oppose aux Etats-Unis. La Chine est cependant le plus grand soutien économique et financier des Etats-Unis. Il reste à la Chine à exercer toute son habileté diplomatique dans la pacification de l'Afrique pour devenir la puissance de référence du développement de ce continent. La reconnaissance de l'identité culturelle du continent africain constitue un aspect inhérent à la politique chinoise. Si le G8 ou l'OMC n'ont jamais songé à inviter des groupes de danses folkloriques, ou à exposer «quelque 300 pièces de sculpture, de la peinture, du tricot, de la poterie» à l'occasion de leurs arides conférences d'experts, les Chinois, eux, en ont tout de suite compris la nécessité. Les Etats-Unis, comme les anciennes puissances coloniales, sont restés figés dans une vision civilisatrice de leur action en Afrique au détriment de l'identité même de ces peuples. À vouloir leur imposer un mode de vie basé sur leurs propres pratiques, les Occidentaux n'ont jamais été en mesure d'offrir aux pays africains un modèle de développement répondant à la culture du continent. En plaçant délibérément le Sommet sino-africain de Pékin dans le cadre d'un dialogue Sud-Sud, la Chine s'impose comme étant la seule puissance capable d'offrir à l'Afrique l'espoir d'une politique de développement économique réaliste, pragmatique et, par conséquent, applicable. Elle entérine l'échec de trente-trois ans de politique africaine française.(2)
Une OPA ne se conclut jamais sans licenciements. Les accords sino-africains pourront bénéficier à l'économie du continent. Qu'elle profite aux Africains eux-mêmes... c'est une autre histoire qui s'écrit déjà au Soudan où se révèle le «cynisme absolu» des Chinois. L'approche des spécialistes occidentaux est dénuée d'objectivité, après avoir tout fait pour la freiner, ils invoquent après TsenHan Men, le fait que la Chine s'allie à des régimes corrompus. Ils oublient de dire que toute la politique occidentale est basée sur la corruption des gouvernants. «En 2000, écrit N. Valérie, le montant du commerce entre la Chine et l'Afrique équivalait à 10 milliards de dollars. Aujourd'hui, on est plus proche des 50 milliards, sans compter le commerce non officiel.
La Chine a des besoins très importants en matières premières et en minerais, et c'est pourquoi elle cherche la solution la plus efficace....Et, contrairement aux pays occidentaux, la Chine ne demande aucune condition aux gouvernements en place et fait même de sa non-ingérence un argument de vente. Au Soudan, par exemple, la Chine a littéralement bâti toute l'industrie pétrolière, soutenant à bout de bras un régime mis sur la sellette à cause du Darfour. Plus généralement, Pékin utilise sa condition de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU pour offrir des garanties politiques à des régimes corrompus. La Chine a beau jouer sur la fibre tiers-mondiste, cette pratique rappelle les stratégies que les pays occidentaux avaient mises en place juste après la décolonisation. Et retarde les évolutions démocratiques nécessaires en Afrique».(3).
En définitive, il est vrai que la philanthropie n'étant pas de ce monde, il est fort à parier qu'avec le temps, on s'apercevra que l'Afrique entame une nouvelle colonisation encore plus perverse car, sous des dehors tiersmondistes de partenariat stratégique, de slogans des années qui ont suivi la première décolonisation, le monde est impitoyable et les Chinois, à nuances près, sont aussi «impérialistes» que la brutalité des impérialismes occidentaux, avec le sourire et l'affabilité en plus, fruit d'une civilisation plusieurs fois millénaire. «Ne nous demandez pas d'aller à la guillotine avec le sourire», s'écriait Thabo Mbeki quand on lui parlait de l'incontournabilité de la mondialisation. Ne nous demandez pas de cautionner l'impossible. L'Afrique perdra son âme comme elle l'a fait vis-à-vis de la mondialisation en croyant trouver la solution à ses problèmes. L'Afrique a une dette de 2500 milliards de dollars qu'elle a déjà payée plusieurs fois. Il aura été plus généreux non pas de distribuer des subsides en augmentant l'APD mais d'apprendre à ces pays comment être réellement indépendants.
Personne parmi les 46 délégations n'a parlé de la nécessité d'une refondation des systèmes éducatifs par la construction d'outils endogènes avec l'appui scientifique des autochtones. Peut-être parce qu'en définitive les pouvoirs politiques en Afrique ne croient pas en leurs élites.
Par ailleurs, avec la plus grande diaspora du monde, 30 millions de Chinois sur tous les continents, des salaires très bas, une main-d'oeuvre inépuisable, des ingénieurs très performants et un sens du commerce immémorial, ce pays peut faire du XXIème siècle, le siècle chinois. L'Algérie devra prendre acte de cela. Lors de sa visite de centres de recherches de sociétés de télécommunications, le chef de l'Etat a insisté sur le fait que l'Algérie «a surtout besoin du transfert des technologies, de l'expérience et du savoir-faire chinois pour se développer et s'épanouir». «Le partenariat stratégique que nous voulons instaurer avec la Chine dépasse le stade des échanges commerciaux et de la consommation des technologies pour atteindre la formation des cadres et l'implantation, dans notre pays, d'usines de fabrication d'équipements». Nous pouvons profiter réellement du savoir-faire de la Chine, et il est inconcevable qu'il n'y ait pas de transfert de technologie pour les contrats du siècle que nous avons octroyés à la Chine. Nous devrons demander la mise en place d'un contrat garantissant la formation de personnes à même de prendre en charge dans le futur les grands travaux, la construction, l'informatique, la construction de micro-ordinateurs. Même s'il y a des surcoûts, c'est le prix à payer pour une sédimentation d'un savoir-faire authentique.
Devant l'importance de ce partenariat stratégique, l'idée serait de créer un organisme de coopération spécifique, seul interlocuteur de toute la coopération multiforme avec la Chine. Cela va de l'éducation à la formation professionnelle et supérieure et naturellement, à tous les projets industriels en cours de réalisation. Si la volonté existe des deux côtes, si les arrière-pensées économiques ne prennent pas le dessus sur une vision d'ensemble, le partenariat entre l'Algérie et la Chine pourrait servir de déclencheur d'une dynamique plus profonde en direction de l'Afrique qui sortirait, il faut le souhaiter, définitivement du sous-développement
1.C.E.Chitour: Vers une crise de l'énergie? 8e Journée de l'énergie Ecole Polytechnique. 19 mai 2004
2.Renaud Delaporte: La Chine a lancé une OPA amicale sur l'Afrique. AgoraVox 6 novembre 2006
3.N.Valérie: «La stratégie de la Chine retarde les évolutions démocratiques en Afrique.» Propos recueillis par Thomas Bronnec L'Expansion.com du 3 novembre 2006


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