Des apparatchiks, des politiciens et des hommes d'affaires algériens ont choisi des quartiers huppés de Paris pour faire des acquisitions luxueuses dans l'immobilier. Combien de ces luxueux appartements sont des "biens mal acquis", achetés avec de l'argent sale, issu de la corruption en particulier ? Comment ces grandes fortunes algériennes ont-elles pu obtenir du comptant pour payer ces biens immobiliers ? Une enquête de L'Obs a tenté de démêler l'écheveau des opérations d'achat. Il reste, toutefois, des zones d'ombre importantes. Parue sous la plume de Céline Lussato et publiée dans L'Obs du 25 juillet dernier, l'enquête a permis de dresser une longue liste d'oligarques établis à Paris ou dans sa banlieue huppée. Pourtant, de cet inventaire, la journaliste n'a extrait qu'une dizaine de noms. Elle écrit que des montages "minutieux" et "des prête-noms impossibles à relier formellement aux bénéficiaires effectifs nous ont souvent empêchés d'aller au-delà du faisceau de présomption". Le magazine n'a publié donc ici que la partie émergée de l'iceberg, les "faits démontrés par des documents". Ainsi suit une série de révélations. On peut y lire : "Situé dans le cœur du Paris historique, en bordure de Seine et face à Notre-Dame, le pied-à-terre parisien de l'ancien ministre algérien de l'Industrie Abdeslam Bouchouareb, qui fut directeur de la campagne présidentielle d'Abdelaziz Bouteflika en 2014, charmerait n'importe quel amoureux de la capitale : 156 mètres carrés achetés, à son nom, 1 180 000 euros en 2006 — dont 580 000 payés comptant — et estimés aujourd'hui entre 2,5 et 3 millions d'euros." Nommé plusieurs fois au gouvernement depuis le milieu des années 1990 et élu député à deux reprises, Abdeslam Bouchouareb, 67 ans, est soupçonné par la justice algérienne "d'avoir attribué contre pots-de-vin des marchés publics à certains entrepreneurs. Son dossier a été transféré à la Cour suprême et un mandat d'arrêt international a été émis à son encontre".Les juges cherchent à démêler ses liens, non seulement avec ces chefs d'entreprise, mais aussi avec le frère de l'ex-président Saïd Bouteflika, emprisonné depuis le 5 mai dernier. Dans le 12e arrondissement, un quartier résidentiel familial, l'enquête met au jour un "bien de l'ex-chef du protocole de la présidence algérienne Mokhtar Reguieg". Indétrônable auprès du président Bouteflika durant quatorze ans et jusqu'au dernier jour de son mandat le 2 avril, Reguieg occupait un poste-clé, aux premières loges du pouvoir, au sein du petit cercle de confiance du chef de l'Etat. Mohamed Bedjaoui : un appartement pour 3,45 millions d'euros à Neuilly Céline Lussato révèle : "C'est avec sa fille, étudiante, et sa femme qu'il a acheté au nom d'une société civile immobilière (SCI), Deberg, un petit deux-pièces à deux pas de la mairie en février 2018." "Une transaction à ‘seulement' 320 000 euros, mais payée comptant", a-t-elle ajouté. L'ancien ministre des Affaires étrangères Mohamed Bedjaoui figure également sur cette liste. Selon cette enquête, c'est dans l'un des quartiers les plus huppés de Neuilly, face au bois de Boulogne et à deux pas de la Fondation Louis-Vuitton, que se trouve son appartement de grand luxe. L'auteure de l'enquête a noté que Mohamed Bedjaoui, après lui avoir affirmé au téléphone "n'avoir rien à se reprocher" et avoir "accepté de la recevoir a finalement changé d'avis". La journaliste écrit : "Monsieur Bedjaoui n'a aucune raison de vous parler. Ces questions doivent être réglées entre Algériens." Il a donc refusé d'expliquer comment, selon elle, "ses revenus de haut fonctionnaire en Algérie lui auraient permis d'acheter en 2011 ce très grand appartement à une princesse saoudienne pour 3,45 millions d'euros". Un chiffre qui donne le tournis. Quant au sénateur Bachir Ould Zemirli, son portefeuille immobilier parisien est, lui aussi, bien garni. L'enquête de L'Obs révèle que "cet homme d'affaires dans le secteur agroalimentaire, patron du club de foot de Hussein Dey à Alger et ex-n°2 de la Fédération algérienne de football, possède avec son gendre Ayoub Aïssiou plusieurs SCI, telles que Les Jasmins ou Real Invest Corp". Elle ajoute : "Des sociétés au nom desquelles on retrouve à la fois la gérance d'un hôtel et la propriété de plusieurs appartements comme un 150-mètres carrés acheté 933 000 euros en 2014 et aujourd'hui estimé autour de 1,9 million d'euros. " Et de poursuivre : "Ou bien encore un cinq-pièces acquis pour 3,4 millions d'euros en 2011, rue Vanneau, dans le 7e. Un appartement de très haut standing." Joint au téléphone, Ayoub Aïssiou, l'une des grandes fortunes de l'agroalimentaire, de l'immobilier et des médias en Algérie, assure être en règle : "Je n'ai rien à me reprocher, je suis résident en France, et d'ailleurs, j'y suis locataire", affirme-t-il, refusant de rentrer dans le détail de ses biens ou de leur financement : "Il faudrait que je voie avec mon avocat pour ça." Mourad Oulmi, propriétaire, notamment, de biens dans l'immeuble de l'ancien ambassadeur Bedjaoui à Neuilly, s'affiche également dans les beaux quartiers de la capitale ou sa banlieue chic. "C'est l'argent des commandes publiques surfacturées et celui des rétro-commissions reversées aux politiques qui ont été investis à l'étranger", explique Djilali Hadjadj, président de l'Association algérienne de lutte contre la corruption, cité dans cette enquête. "On parle de commissions en centaines de milliers d'euros ou même en millions", décrit, pour sa part, l'économiste Ferhat Aït Ali, cité également dans cette enquête. Mais attention, l'argent sorti illégalement n'est pas nécessairement sale. Il est parfois seulement non déclaré aux autorités algériennes. Et pour cause : la loi interdit "la constitution d'avoirs monétaires, financiers et immobiliers à l'étranger par les résidents à partir de leurs activités en Algérie". Et "punit toute infraction de deux à sept ans de prison", souligne l'économiste.