Liberté : Le projet de loi de finances 2020 institue un impôt sur le patrimoine ; laquelle taxe a été pourtant rejetée par l'Assemblée il y a de cela à peine une année. Quelle lecture pouvez-vous en faire ? Hayet Bouilef : L'histoire de l'impôt sur le patrimoine en Algérie est versatile et délicate. Cet impôt apparaît comme un étendard aux mains des autorités. Entre instauration et abrogation, l'impôt sur le patrimoine devrait répondre à plusieurs objectifs. Tantôt il est brandi pour dissuader les fraudeurs et lutter contre l'économie informelle. Tantôt pour annoncer la volonté politique de rétablir une équité fiscale. Et parfois, il est arboré pour assainir l'écosystème économique et financière en vue de réaliser les conditions favorables à l'activité économique et de mobiliser les ressources nécessaires au fonctionnement de l'Etat. À ce titre, l'impôt sur le patrimoine a connu une mutation et une évolution permanente au fil des réformes fiscales. Les éléments de sa structuration ont observé une gestation continue. Quel est l'intérêt d'instituer une telle taxe lorsqu'on sait qu'une bonne partie de l'économie marchande évolue dans l'informel ? L'intérêt de la réinstauration de l'impôt sur le patrimoine dans le contexte actuel du pays est salutaire à plusieurs titres. Sur le plan politique, au regard du mouvement populaire réclamant le changement et aspirant à une vie meilleure, l'instauration de l'impôt sur le patrimoine traduit le lancement des bases d'une économie moderne, empruntant les mécanismes de fonctionnement contemporain, à l'instar de ceux usités internationalement dans les pays démocratiques. Il peut également traduire une volonté politique qui aspire à un Etat démocratique, basé sur la transparence de la gestion et de la gouvernance publique et financière où le financement public est garanti par la participation de tous les acteurs économiques du pays et où une traçabilité des finances publiques est assurée par les institutions de l'Etat moderne, démocratique. Sur le plan social, l'instauration de l'impôt sur le patrimoine peut indiquer une éventuelle orientation politique des autorités publiques en faveur d'une certaine équité sociale à travers l'implication des catégories aisées et favorisées à la participation à l'effort national ainsi qu'à l'effort de redistribution des richesses dans la société. Sur le plan sociétal, l'impôt sur le patrimoine incite à une forme de civisme fiscal et comportement de solidarité nationale de la part des contribuables et des citoyens considérés comme riches. Il représente un moyen d'assainissement de la sphère économico-financière et la lutte contre une forme d'impunité à l'égard des fraudeurs. Sur le plan économique, l'impôt sur le patrimoine se révèle un levier technique d'excellence de lutte contre l'économie souterraine et contre la fraude et l'évasion fiscales. L'instauration d'une fiscalité adressée à briser l'épanouissement de l'activité frauduleuse est impérative, notamment dans le contexte de crise socioéconomique et politique que connaît le pays. La fourchette allant de 100 millions de DA à 700 millions de DA, envisagée comme assiette fiscale à l'impôt sur le patrimoine, apparaît dérisoire, puisqu'elle avoisine un taux d'imposition de 10%. Néanmoins, il est économiquement avantageux de réduire la sphère de l'économie informelle, en ponctionnant et prélevant une partie, certes modeste de cette monnaie fiduciaire qui circule en toute illégalité, ce qui contribue à réduire son impact néfaste sur les finances publiques. En outre, la portée incitative de cette faible imposition (100 000 DA à 500 000 DA) au regard des sommes éludées et fraudées, peut opérer comme facteur d'incitation des fraudeurs de se conformer avec la législation, compte tenu le volume insignifiant du prélèvement fiscal envisagé. Au plan financier, cet impôt constitue un véritable levier de mobilisation des ressources publiques. L'administration fiscale est-elle suffisamment outillée pour permettre une meilleure collecte de cet impôt ? La mise en œuvre de cet impôt ne constitue pas une contrainte majeure, car les moyens de sa réalisation et de son applicabilité sont disponibles. L'administration fiscale dispose des mécanismes techniques et dispositifs juridiques d'exécution de cet impôt. En effet, la collecte de l'information est opérée à partir des documents fiscaux et l'exploitation des fichiers transmis aux services fiscaux en vertu du droit de communication et d'information reconnu légalement à l'administration fiscale. Parallèlement, les services de réévaluation immobilière, ainsi que les services d'enregistrement constituent une source efficiente de collecte d'informations sur les signes extérieurs de richesse, puisque ces services procèdent régulièrement à la réévaluation des prix déclarés à l'occasion des transactions immobilières. À ce titre, l'administration gagnerait en efficacité, en établissant les fichiers immobiliers en étroite collaboration avec les services du cadastre qui ont quadrillé en large mesure le foncier algérien, avec les services de la conservation foncière ainsi que les services du domaine public. Compte tenu que le blanchiment des revenus tirés de l'activité informelle et le blanchiment de la fraude se matérialisent principalement par l'acquisition d'immobilisations. En outre, l'opération du contrôle fiscal, notamment à travers la Vasfe (vérification approfondie de situation fiscale d'ensemble) mise en place à partir de 2001, permet à l'administration d'évaluer et de cerner la situation patrimoniale des contribuables contrôlés, d'une manière approximativement authentique à la réalité du patrimoine détenu, puisque l'administration procède à une forme d'harmonisation et cohérence entre les revenus connus par ses services et la situation de trésorerie et les signes extérieurs de richesse du contribuable ainsi que les membres de son foyer fiscal. Néanmoins, l'optimisation de la rentabilité de cet impôt est tributaire de l'implication de l'ensemble des structures et institutions financières, économiques et douanières du pays, à travers l'élaboration d'une stratégie de coopération avec l'administration fiscale. Par ailleurs, sur le plan juridique, il est nécessaire de réduire l'instabilité juridique régissant le dispositif de cet impôt. Car la stabilité législative produit une forme de sécurité juridique qui stimule les contribuables et les investisseurs d'engager leurs capitaux dans la sphère économique.