Liberté : Mercredi dernier, vous avez pris part à une réunion qui a regroupé les membres du Conseil national interprofessionnel de la filière avicole (Cnifa) et les responsables du ministère de l'Agriculture. Quel a été l'ordre du jour de cette rencontre et qu'en est-il ressorti ? Kalli Moumane : Effectivement, sur notre demande, le ministre de l'Agriculture a programmé une réunion où il a convié les membres du Cnifa à aborder certaines questions liées à la filière. Nous avons, ensemble, évoqué essentiellement les étapes franchies pour la mise en œuvre du cahier des charges relatif à la filière, et qui vise l'organisation de cette activité agricole et la régulation du marché par les professionnels. Nous avons surtout posé la question de savoir pourquoi ce document n'a pas été validé par le ministre. Peut-on avoir un peu plus de détails quant à ce cahier des charges ? Il s'agit d'un document élaboré par plusieurs acteurs de la filière dont l'Institut technique des élevages (Itelv), l'Office national des aliments de bétail (Onab), le Cnifa, la Direction des services vétérinaires relevant du ministère, dont l'objectif est de réguler la filière en amont et en aval. Le marché national s ouffre-t-il d'un manque de régulation au point d'instaurer un cahier des charges ? Oui, énormément. Les besoins nationaux en poussins reproducteurs de chair sont estimés à 5,5 millions. En Algérie, on en produit plus de 2 millions, c'est l'œuvre de deux gros producteurs, en l'occurrence M. Kherbouche à Tlemcen et M. Tekfa à Djelfa. Ce déficit évalué à 3,5 millions de poussins doit, par conséquent, être importé. Or, l'Etat a importé en 2019 pour un volume de 6,8 millions d'unités. Et si l'on ajoute les 2 millions produits localement, l'on arrivera à une surproduction de l'ordre de 8,8 millions d'unités. Ainsi, l'offre sur le marché dépassera largement la demande nationale. Et c'est l'éleveur qui en subira les conséquences puisqu'il sera obligé de vendre à 120 DA en gros au bâtiment de l'élevage au lieu de 180 DA, prix pratiqués habituellement. Autant de pertes sèches qui auront un impact négatif sur le producteur exposé inexorablement à la faillite. Mais en principe, le cahier des charges vient mettre un terme à toute cette anarchie... Absolument. Avec ce document, il y aura une meilleure identification des importateurs et une réelle programmation suivant les besoins nationaux. Les autorisations d'importation seront de ce fait accordées en les répartissant de manière équitable, en termes de quantités, sur les opérateurs, de sorte à ne pas dépasser les 3,5 millions d'unités qui manquent. Et chaque importateur doit déterminer à qui il a vendu son lot pour savoir où va toute cette matière première. Car, jusque-là, on autorise des opérateurs à importer, mais on ne sait pas la destination des quantités importées. Et souvent, ces poussins sont jetés au milieu du processus car non rentables et ne contribuent plus aux objectifs tracés en matière de production de poulets ou d'œufs. Entre-temps, ce sont des dépenses considérables en devises qui partent en fumée, ce dont pouvait bien se passer l'Algérie en cette période de crise. À cela, il y a lieu d'ajouter d'autres dépenses faramineuses. Lesquelles ? Les 5,5 millions de poussins reproducteurs de chair dont a besoin annuellement le pays nécessitent également l'importation de matières premières dont plus de 4,5 millions de tonnes de maïs et de 1,2 million de tonnes de soja. Mais avec ce surplus de la production de 8,8 millions de poussins reproducteurs, il faut prévoir environ 8 millions de tonnes de maïs et plus d'un million de tonnes de soja. Je qualifie tout cela de véritable crime économique. Le cahier des charges, en revanche, va imposer davantage de traçabilité, puisque les quantités qui seront importées seront l'œuvre d'une vingtaine d'opérateurs qui, eux, vont identifier les éleveurs par wilaya ou commune où sont implantés de grands élevages. Cette organisation permettra donc aux autorités de connaître la destination exacte du poussin reproducteur importé. Quand le cahier des charges sera-t-il mis en application ? Au Cnifa, nous sommes optimistes et convaincus qu'il sera validé par le ministre et deviendra applicable dans les jours à venir. Nous sommes sortis de la réunion au ministère avec les garanties et les promesses dans ce sens du ministre lui-même. Une fois le document mis en application, tous les problèmes que vit la filière seront résolus. Le document sera-t-il imposé à l'ensemble des intervenants dans la filière ? Le cahier des charges sera imposé aux 20 000 éleveurs recensés à travers tout le territoire national et aux 59 importateurs des intrants présents sur le marché. Peut-on connaître le rendement de toutes ces quantités de poussins reproducteurs mises sur le marché en termes de viandes blanches ? Les 5,5 millions de poussins reproducteurs dont a besoin le pays vont donner plus de 650 000 tonnes de viandes blanches/an. Ce qui situe la consommation annuelle par habitant entre 15 et 18 kg de poulet de chair. Comparés aux autres pays, les Algériens en consomment moins que les Marocains (20 kg), les Européens (25 kg), les Américains (environ 27 kg). Cette baisse dans la consommation signifie clairement que l'on peut investir encore plus dans la filière avicole et créer des dizaines de milliers de postes d'emploi. En ce qui concerne l'œuf de consommation, la moyenne annuelle mondiale par habitant avoisine les 190 œufs. En Algérie, la moyenne est de 160 œufs/habitant/an. Nos besoins sont évalués à 6 milliards d'unités d'œufs/an, mais nous sommes en train de produire le double, soit 12 milliards d'unités. Car nos besoins nationaux sont de l'ordre de 350 000 reproducteurs de ponte, alors que l'Algérie en a importé 750 000. Cet excédent peut-il être exporté ? J'ai fait des tentatives vers la Mauritanie et le Maroc, je me suis rendu compte que l'œuf produit en Algérie ne les intéresse pas à cause d'un manque flagrant de traçabilité. Ces deux pays exigent la source qui a produit l'œuf, le vaccin effectué à la poulette, le maïs consommé par cette dernière…, autant de conditions que l'Algérie n'est pas encore prête à satisfaire. En revanche, plus de 60% des produits avicoles recensés en Mauritanie sont d'origine marocaine parce qu'ils répondent aux normes requises. Quelle solution préconisez-vous pour résoudre ce problème ? La transformation. Les quelques transformateurs existants ne suffisent pas. D'où la nécessité d'investir ce créneau à travers des projets d'envergure. Encore faut-il commencer par régler l'épineuse problématique de l'informel...Tout à fait. L'informel représente près de 80% de l'activité avicole. Cette situation nous met devant un dilemme. Ces opérateurs informels, qui échappent au contrôle, aux impôts, engendrent une véritable évasion fiscale pour le pays et mettent en péril la santé du consommateur à cause d'un manque de traçabilité. En revanche, si les agents contrôleurs et les services de sécurité les débusquent, ce sont autant de quantités de poulets de chair et d'œufs qui disparaîtront du marché, provoquant ainsi une véritable pénurie. Même s'ils ne disposent pas d'agrément, ces éleveurs sont, dans leur quasi-totalité, des professionnels et contribuent largement à la production nationale de viande blanche. Cela dit, nous allons rencontrer ces acteurs informels pour les insérer dans le circuit officiel tout en leur promettant d'obtenir des cartes d'agriculteurs et de bénéficier de facilitations et d'avantages fiscaux au sein de l'administration des impôts.