Une légitime fierté a habité le peuple algérien lors de ce premier anniversaire de l'insurrection citoyenne. Cette fierté est justifiée par plusieurs acquis. Retenons les plus significatifs. Le mouvement a duré ce qui est en soi un défi que peu de peuples ont relevé. Il a gardé son caractère pacifique et ses objectifs démocratiques, ce qui est un saut qualitatif considérable quand on connaît les sacrifices et l'endurance qu'il a fallu pour ancrer cette méthode de lutte dans un univers de violence endémique dominé par la pensée unique. Enfin, le scrutin de décembre, dont il était attendu qu'il éteigne ou, au moins, qu'il érode significativement une dynamique populaire sans organe de coordination, n'a en rien anesthésié la vigilance citoyenne. Bien au contraire. Faute d'avoir pu étouffer ou détourner l'insurrection du 22 février, le pouvoir est réduit à un équilibrisme infantile où il salue le mouvement tout en le censurant et en le réprimant. Combien de temps peut durer pareille manœuvre ? Autres données qu'il ne faudra pas se lasser de rappeler : la présence massive de la femme et la tolérance partagée entre personnes, régions et communautés figurent parmi les premiers et plus importants acquis de cette année de combat. En se respectant et en se protégeant, les citoyens, par-delà leurs origines et sensibilités, ont déjoué une provocation et indiqué une direction vers ce que peut et doit être l'Algérie de demain. Ce que n'ont pas pu concrétiser les luttes classiques a été mis en œuvre dans la rue Tout cela a été possible parce que la maturité de l'écrasante majorité des marcheurs a bien compris ce dont il était vital de se protéger et ce qu'il convenait de protéger. S'interdire d'afficher des slogans politiques partisans ou idéologiquement connotés et assumer les préalables démocratiques universels qui garantissent une vie libre à chacun dans un système politique où nul individu, nul groupe, nulle idéologie ne pourront revendiquer un pouvoir ou une tutelle hégémonique et définitive sur le pays. Les leçons d'un passé douloureux ont été collectivement retenues. Il est impératif que ces minima, qui sont aussi la base de toute perspective démocratique, soient rappelés aujourd'hui. Sans être une tendance lourde, des signes des démons du passé réapparaissent au pays comme en émigration sous forme de slogans tendancieux, sectaires ou polémistes. Si ces tentations venaient à perdurer, elles pourraient constituer des failles à double risque. D'une part, d'autres sensibilités ne manqueront pas de répondre sur le même ton, ce qui ouvrirait la voie à des antagonismes dont nul ne peut prédire les conséquences. D'autre part, et ce ne sera pas la première fois que cela advient, le pouvoir ne manquera pas de se saisir de ces impatiences — dont il se dit que certaines au moins sont suscitées — pour se poser, une fois de plus, devant l'opinion nationale et internationale en arbitre contre un nouveau péril totalitaire. On a entendu au début du mouvement des hommes, jadis acquis aux thèses absolutistes, dire que le communiste, le laïc, l'islamiste et le nationaliste devaient marcher ensemble et se respecter. Il serait utile que ces sages paroles prennent à nouveau le dessus sur le prurit que semblent révéler certaines rechutes. Enfin, des attitudes, des postures, des slogans ou des suggestions se font de plus en plus insistantes pour encenser tel, projeter tel autre vers des responsabilités pour lesquelles nul n'a reçu mandat. La révolution actuelle n'est pas une occasion pour propulser des carrières, c'est une opportunité historique pour la refondation nationale. Notre devoir premier est d'être digne de la rue qui demande un Etat civil et non militaire. Notre rôle à toutes et à tous est d'exiger la libération de tous les détenus d'opinion, ainsi que leur dédommagement. Une fois leur liberté acquise, ils redeviennent citoyens devant contribuer au changement. Il faudra alors mettre en œuvre la phase de transition dont il convient de savoir que, par définition, elle n'a pas vocation à désigner des dirigeants, mais à créer les meilleures conditions de leur élection pour exercer leur charge dans un cadre démocratique assurant l'alternance au pouvoir. Plus que jamais, nous sommes appelés à faire l'effort de ne pas oublier que des idées, des décisions et des actes ont, plus d'une fois, permis au système de se régénérer à chaque fois que la liberté citoyenne allait le contraindre à l'abdication. à situation inédite, solution inédite.