D'aucuns se demandent si la traque de la fausse information, déclenchée par les autorités, ne charrie par des velléités d'un étouffement des voix qui s'expriment sur les réseaux sociaux et partant sur les sites d'information. À la question de savoir si on pouvait légitimement parler d'une "nouvelle Algérie" et de l'édification de la démocratie au moment où les libertés enregistrent, de l'avis de beaucoup, un recul et des journalistes sont emprisonnés, le porte-parole de la présidence de la République, Belaïd Mohand-Oussaïd s'est limité à des poncifs, sans convaincre, a priori. "Il se trouve que des pratiques auxquelles certains se sont habitués ne sont pas adaptées à l'Etat de droit que nous sommes en train d'édifier. Il y a un encouragement de la liberté de la presse. Il y a 350 médias qui écrivent et critiquent sans aucun problème. Nous avons besoin de critique et d'opposition, mais dans la limite de la loi, de l'éthique et de la morale publique. Ceux qui ont été poursuivis sont tombés sous le coup de ces trois limites et ils sont des justiciables comme tous les citoyens", a-t-il dit avant de rappeler l'"engagement" du chef de l'Etat à respecter la liberté d'expression et de la presse sans "aucune restriction". Hasard du calendrier ou concours de circonstance, c'est au moment où il tentait de rassurer sur les intentions de l'Exécutif que RSF publiait son classement mondial de la liberté de la presse et dans lequel l'Algérie arrive à la peu enviable 146e place, loin derrière le Maroc (133), la Mauritanie (97), la Tunisie (72) et même… la Palestine (137). Une régression — l'Algérie ayant perdu cinq places par rapport à l'an passé — que l'ONG attribue au climat politique dans lequel a évolué la presse algérienne ces deux dernières années. "Dans un contexte politique assez instable, la liberté de l'information en Algérie demeure fortement menacée. Les autorités continuent à verrouiller le paysage médiatique avec de nombreux procès intentés contre des journalistes (…)". "Sous pression judiciaire, la presse algérienne peine à remplir sa mission", relève l'ONG qui estime que la récente incarcération de son correspondant en Algérie, Khaled Drareni, a montré comment les "autorités de certains pays profitaient de l'épidémie de Covid-19 pour régler leurs comptes avec le journalisme indépendant". Ce constat de l'ONG, qui tranche singulièrement avec les affirmations des autorités, intervient dans un contexte qui fait encore peser davantage d'incertitudes sur la liberté d'expression et par ricochet sur la liberté de la presse. En effet, quelques jours seulement après le blocage de certains sites d'informations, dont Maghreb Emergent et Radio M, sous prétexte d'infraction à la loi sur le financement étranger des médias, puis justifié au motif de "diffamation", l'arrestation de certain internautes, un projet d'amendement du code pénal, qui fait d'ores et déjà grincer des dents parmi les professionnels des médias et même des politiques et des acteurs de la société civile, a été adopté, hier, avec une curieuse célérité, par le Parlement. Présenté en Conseil des ministres comme s'inscrivant dans le cadre des engagements du Président, notamment pour ce qui a trait à la moralisation de la société et de l'administration, et à la rupture définitive avec les pratiques ayant porté atteinte à l'image de l'Etat et à la probité de ses cadres, "à condition que cela intervienne dans le cadre d'un Etat fort et équitable sans aucune ambiguïté entre la liberté et l'anarchie", ce projet de loi dispose, entre autres, de "criminaliser les actes qui se sont répandus ces dernières années au point de menacer la sécurité et la stabilité du pays, notamment la diffusion de fake news pour porter atteinte à l'ordre et à la sécurité publics, l'atteinte à la sûreté de l'Etat et à l'unité nationale…". Si le ministre de la Communication, Amar Belhimer, a justifié l'élaboration du texte par la diffusion récente de certaines informations relatives au coronavirus, lesquelles, selon lui, avaient "effrayé des familles", d'aucuns se demandent, en effet, si la traque désormais de la fausse information ne charrie pas des velléités d'étouffement de certaines voix qui s'expriment sur les réseaux sociaux et partant sur les sites d'information. Car, enfin, faute de transparence et d'un accès libre à l'information, qui peut bien apprécier de la fausseté d'une information et de son caractère attentatoire à la "sécurité publique, à l'unité nationale et à la sûreté de l'Etat" ? Faut-il y voir une volonté des autorités, visiblement dépassées par l'inflation des informations distillées sur les réseaux sociaux et qui alimentent des fois même les médias, incommodées par celles relatives à des institutions sensibles de l'Etat, d'accaparer le monopole de la communication sur la vie publique ? Après la décision de la Présidence fin décembre dernier décrétant que "l'information officielle est rendue publique à travers des communiqués de la présidence de la République publiés par l'agence Algérie presse service (APS) et que toute information rapportée en dehors de ce canal est à classer dans la case de la propagande et de la désinformation", il y a tout lieu de croire que l'on s'achemine vers un contrôle plus strict de "toute information" dont on aura jugé qu'elle relève d'une "fake news". De quoi réduire davantage le champ d'expression et par conséquent de la presse, déjà fortement éprouvés par des entraves de diverses natures.