Plusieurs cambistes affirment avoir suspendu leur activité en raison des taux de change actuels, jugés peu rémunérateurs. Les mesures de lutte contre la propagation de la pandémie de coronavirus, dont la fermeture des frontières aériennes et maritimes, ont entraîné une chute du marché informel des changes, où l'activité des cambistes s'est fortement repliée depuis fin février. Au square Port Saïd, marché illégal mais toléré par les autorités, l'animation est réduite à une quête ininterrompue de devises pour les besoins de thésaurisation, alors que l'offre s'effrite faute de plus-value. La demande a, à son tour, beaucoup baissé ces dernières semaines, se limitant à quelques transactions opérées par des détenteurs de capitaux en dinar, animés par l'envie de thésauriser en monnaies étrangères, sur fond de spéculations quant à aux velléités d'une dévaluation du dinar. "En tout cas, ils sont rares les cambistes qui proposent de changer des devises avec les taux actuels, car, forcément, la vente se fera à perte. À moins que l'acheteur propose d'importantes sommes et qu'il soit disposé à négocier", nous confie un cambiste du square Port Saïd, qui lui-même affirme avoir suspendu son activité en raison des taux de change actuels, jugés peu rémunérateurs. Dans un marché complètement à l'arrêt, ou presque, l'euro se négocie à 187 dinars à la vente et à 185 dinars à l'achat, alors que le dollar est échangé contre 170 dinars à la vente et 168 dinars à l'achat. La baisse à la fois de la demande et de l'offre fait que la monnaie nationale se raffermit quelque peu face aux principales devises. L'offre provient essentiellement des fonds transférés par les Algériens établis à l'étranger, alors que la partie d'origine délictuelle amorçait un mouvement baissier depuis maintenant quelques mois déjà. Quant à la demande, elle est essentiellement liée à la couverture des déplacements des Algériens à l'étranger, soit pour des études, des vacances et/ou des pèlerinages aux Lieux saints de l'Islam, faute d'une offre bancaire suffisante. Début mars, peu avant les mesures de lutte contre la progression rapide de l'épidémie de coronavirus, la monnaie européenne valait 202 dinars sur le marché de change parallèle, alors que le billet vert était coté à 190 dinars, profitant d'un retour au calme après les baisses amorcées depuis la mi-2019. Leur rebond du début de l'année est remis en cause par la propagation du coronavirus à travers le monde, obligeant l'ensemble des Etats à suspendre les liaisons et à fermer leurs frontières. Un marché qui se resserre Les cambistes n'excluent pas une nouvelle rechute des taux de change du dinar face aux principales devises si la situation de blocage venait à s'inscrire dans la durée. "L'offre en devises va se resserrer davantage car les taux ne sont pas rémunérateurs. Les cambistes limitent leur activité à acheter des devises à des taux faibles en attendant la reprise. Bien évidemment, ceux qui achètent les devises en temps de crise vont, soit les thésauriser par manque de confiance en la monnaie nationale, soit pour les revendre lorsque la vie normale reprendra son cours", nous explique Merouane, cambiste au square Port Saïd. Notre interlocuteur, peu bavard et semblant inquiet de cette situation menaçante pour son business, souligne que les rares transactions qui se font actuellement se déroulent dans les arrière-boutiques et dans des appartements à Alger, où la vente-achat se négocie au centime près. "C'est compréhensible parce que si acheteur il y a, celui-ci ne vient pas échanger des petites sommes en ces temps de blocage et si vendeur il y a, ce dernier exigera une négociation aux fins d'une plus-value. Les deux doivent gagner au change", précise notre interlocuteur. Cela signifie que les gros acheteurs et vendeurs sont désormais les seuls acteurs du marché, fixant les taux de change selon la qualité de la demande, mais aussi en fonction des gains à encaisser pour les deux parties. Le marché pourrait se resserrer davantage dans le cas où le scénario d'une dépréciation plus prononcée du dinar venait à se vérifier. Une nouvelle dépréciation de la monnaie nationale pour faire face à la crise serait à l'étude, ce qui serait un moyen pour augmenter les recettes en dinar de la fiscalité pétrolière et rendre plus onéreuses certaines importations. Ces bruits d'une nouvelle dépréciation ne sont d'aucune incidence sur le marché informel en l'état actuel des choses, mais ils pourraient, demain, faire basculer les taux vers des mouvements haussiers. Certes, le marché réagit beaucoup à l'effet psychologique, en témoigne son emballement à l'annonce d'un retour à l'importation des voitures de moins de trois ans, mais, de tradition, c'est le principe de l'offre et la demande qui fixe les taux. Bizarrement, c'est un marché informel qui fonctionne comme une bourse des valeurs et qui joue le rôle d'une offre complémentaire, voire de substitution à une offre officielle insuffisante.