La démission du président malien, bien que forcée et précipitée, a peu surpris au vu de la situation catastrophique dans laquelle son pays a replongé ces trois dernières années, malgré l'aide internationale et régionale qui a été apportée à Bamako pour sortir de l'impasse politique et sécuritaire. L'élection d'Ibrahim Boubacar Keïta en 2013 (après deux tentatives avortées en 2002 et 2007), propulsé à la tête du Mali dans des conditions difficiles, avait répondu à une urgence politico-sécuritaire exceptionnelle. Son éviction mardi soir par des militaires est motivée par la même urgence, justifient les putschistes qui ont changé le cours des événements à Bamako, non sans plonger le pays dans un nouveau cycle d'incertitudes politiques avec ce retour à la case départ. Mais comment sommes-nous arrivés là ? Avant d'accéder à la présidence de la République, IBK avait eu l'occasion d'occuper le poste de Premier ministre entre 1994 et 2000. Le pays vivait dans la tourmente de la guerre opposant le pouvoir central aux rebelles touareg du Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) (1990-1996). Durant toute cette période, tout en se réclamant de la gauche, il a géré d'une main de fer les multiples grèves scolaires et tenu tête à l'opposition, sous les ordres de l'ancien président et protecteur Alpha Oumar Konaré. Son parcours exemplaire dans la gestion des affaires de l'Etat en pleine crise et son dévouement lui ont valu la confiance des Maliens en 2013, pour présider aux destinées du Mali, encore une fois de plus dans un contexte de rébellion armée du MNLA dans le nord du pays et avec l'apparition des groupes terroristes affiliés à Al-Qaïda au Maghreb islamique. C'est durant son premier mandat que l'accord de paix et de réconciliation au Mali, issu du processus d'Alger, a été signé à Bamako en mai-juin 2015, redonnant espoir aux Maliens, promettant aussi de donner un nouveau souffle à la lutte contre Al-Qaïda et les groupuscules qui lui sont affiliés dans le centre et le nord du pays. Le 2e mandat de trop C'est d'ailleurs sur ces progrès accomplis qu'IBK a été réélu pour un deuxième quinquennat en 2018, avec 67,2% des voix, malgré des accusations de fraudes, surtout au 2e tour qui l'avait opposé à son rival Soumaïla Cissé, enlevé à la veille du premier tour des législatives du 29 mars dernier, alors qu'il était en campagne électorale dans sa circonscription dans le centre du pays. Mais depuis sa réélection, l'accumulation des difficultés socioéconomiques, le blocage de la mise en œuvre de l'accord d'Alger et la multiplication des scandales impliquant des membres de sa famille (dont son fils, le député Karim Keïta), ainsi que son proche entourage au sein du parti au pouvoir, ont fini par le mettre dos au mur face à une opposition mieux structurée et mieux soutenue par une partie du peuple. La fraude signalée lors des législatives du printemps dernier n'est que la goutte qui a fait déborder le vase. Ce qui a servi de carburant à la mobilisation politique et citoyenne, contestant les résultats de ce scrutin, sont plutôt la mal-vie des Maliens, les grèves à répétition qui paralysent le secteur de l'éducation et les scandales financiers, pour ne citer que ceux-là. Réunie autour du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), sous l'autorité morale de l'influent imam Mahmoud Dicko, la nouvelle coalition de l'opposition a mis à nu l'incapacité d'IBK à gérer cette situation d'urgence, alors que le pays est confronté à la recrudescence des violences terroristes et communautaires dans le Centre et le Nord, pendant que la situation économique se détériore progressivement sous l'effet de la pandémie de coronavirus. Incapable de véritables propositions de sortie de crise, IBK a choisi la fuite en avant pour sauver un régime vacillant, malgré le soutien apporté par ses homologues de la Cédéao, l'ONU, l'Union africaine et l'Union européenne, qui ont d'ailleurs dénoncé en chœur le putsch de mardi soir. S'il est normal de se ranger du côté de l'ordre institutionnel et constitutionnel, ces derniers ne semblent pas avoir pris au sérieux l'ampleur de la situation ni la détermination du M5-RFP, dont le leader Dicko ne s'est aucunement laissé intimider par les menaces de sanctions de la Cédéao, ayant comme légitimité le large soutien d'une bonne partie des Maliens, surtout dans le milieu des jeunes qui aspirent à un véritable changement. L. M.