Liberté : Dans sa quête permanente de libérer la liquidité bancaire, la Banque centrale a baissé à nouveau le taux de réserve obligatoire le ramenant désormais à 3%. C'est la troisième fois que la Banque d'Algérie intervient sur le taux de réserve obligatoire en un laps de temps de six mois seulement. N'est-ce pas là un signe, on ne peut plus clair, de la situation de crise endémique dans laquelle le secteur bancaire s'est embourbé depuis 2016 ? Omar Berkouk : La situation économique et financière du pays est en train de révéler la situation réelle des banques publiques. Leur mauvais état est antérieur aux conséquences des crises pétrolière, économique et sanitaire qu'elles subissent aujourd'hui. Tant que les prix élevés du pétrole leur permettaient une situation de surliquidité, l'Etat et ses régulateurs ne se préoccupaient pas de la qualité de leur gestion. Elles pouvaient "mettre" la poussière sous le tapis. Aujourd'hui, la crise économique et financière les confronte à la valeur de leur bilan et à leur responsabilité face aux dépôts de leurs clients. Elles ne sont pas responsables de la crise économique et financière, mais elles sont responsables de la qualité de leurs engagements. Le risque de liquidité bancaire est le fait qu'une banque n'a pas assez de liquidités pour répondre à ses engagements à court terme. La banque n'est alors plus solvable. Elle est dans l'incapacité de répondre aux demandes de retraits de ses clients. Cela peut être le cas, par exemple, lors d'un Bank Run (course aux retraits des dépôts). Il faut savoir qu'une banque se finance généralement à court terme. Elle emprunte de l'argent à sa Banque centrale (la BCE dans l'UE) ou auprès d'autres banques. Cela lui permet d'accorder des prêts souvent à long terme à ses clients. En faisant cela (la transformation), la banque s'expose au risque de liquidité bancaire. En effet, si elle n'arrive plus à emprunter à court terme et si ses clients ne déposent pas assez d'argent, la banque pourra se retrouver à court de liquidités. Mis à part de gros problèmes de gestion ou une chute des revenus de la banque, le plus gros risque qui pèse sur la liquidité bancaire, est celui d'une crise financière majeure. N'est-ce pas que cette crise entraîne souvent une perte de confiance en la solidité du secteur bancaire ? En cas de crise, il y a assèchement des liquidités sur le marché interbancaire. Les banques ne se prêtent plus entre elles de peur de ne pas se faire rembourser et pour garder leurs liquidités en cas de coup dur. Résultats, les banques qui empruntent à court terme ne peuvent plus se financer. Le risque de liquidité bancaire est alors très fort. Si la banque n'a plus de trésorerie, elle ne peut plus répondre à ses engagements et fait faillite. C'est ce qui s'est passé lors de la crise des subprimes en 2008. Une crise économique et financière peut également conduire à une course aux retraits bancaires du fait de la perte de confiance des clients envers leur établissement bancaire. Les clients doutent de la solidité financière de leur banque et préfèrent retirer massivement leur argent pour le mettre à l'abri. Cela peut conduire à la faillite de la banque. C'est tout l'enjeu des ratios de solvabilité Bale III qui imposent aux banques d'avoir un certain niveau de capitaux propres pour augmenter leur capacité à aborder des pertes sur leurs activités. La réglementation Bale III oblige les banques à avoir des fonds propres de meilleure qualité. Bien évidemment, en cas de crise majeure, ces fonds propres sont insuffisants pour pallier le risque de liquidité bancaire. C'est un pansement à court terme, et si la crise perdure, l'absence de financement sur le marché interbancaire sera souvent fatale à de nombreux établissements bancaires. Le risque de liquidité bancaire est inévitable, mais certains établissements sont plus solides financièrement que d'autres. C'est le cas des banques ayant un bon ratio de liquidité (actif court terme/passif court terme). Jusqu'où la Banque centrale peut-elle aller dans ses baisses à répétition du taux de réserve obligatoire et quelles sont les limites de cet artifice ? La Banque centrale est dans son rôle de gestionnaire de la monnaie en circulation et de garant de la liquidité bancaire. La détermination du niveau adéquat des réserves obligatoires relève de sa politique monétaire. Elle articule ce niveau entre 0 et 12% en fonction des besoins de liquidité de l'économie. Il faut savoir que le niveau de liquidité s'est fortement détérioré au premier semestre 2020 (-30%). La liquidité globale est passée de 1 100 milliards de dinars à 800 milliards de dinars.À ce stade, il faut rappeler la définition de la politique monétaire et ses moyens. La définition première de la politique monétaire est "l'ensemble des moyens mis en œuvre par un Etat ou une autorité monétaire pour agir sur l'activité économique par la régulation de sa monnaie". Les opérations d'open market, c'est-à-dire "effectuées aux conditions de marché", répondent à deux finalités, à savoir le pilotage des taux d'intérêt et la gestion de la liquidité bancaire. Dans ce cadre, les six banques publiques algériennes ont vu leurs besoins de refinancement auprès de la Banque centrale passer à 404 milliards de dinars, soit une hausse de 36% en une semaine. Elles obtiennent ces refinancements contre effets publics (titres d'Etat, bons du Trésor). Les facilités permanentes permettent de fournir ou de retirer des liquidités, par le biais de prêts ou de dépôts à 24 heures, de manière automatisée ou à l'initiative des établissements de crédit contreparties de la Banque centrale. Cette séquence rappelle étrangement la période 2016-2017 qui avait précédé la planche à billets, lorsque la Banque d'Algérie avait tenté à la fois les opérations de réescompte, l'open market et la baisse du taux de réserve obligatoire pour qu'au final, le gouvernement valide la planche à billets comme moyen de financement. Pensez-vous qu'encore une fois, la planche à billets paraît inévitable à l'heure où certaines banques de la place peinent à constituer des réserves ? Si la crise de liquidité bancaire devait s'étendre de manière durable en effets et en conséquences sur l'ensemble de l'économie nationale, le financement direct des besoins du Trésor serait inévitable. À ce refinancement des besoins de l'Etat se rajouteraient ceux de l'économie privée à travers les banques commerciales publiques ou privées qui trouveraient auprès de la Banque centrale des facilités sans condition. Cette généralisation du financement de tous les agents économiques sans condition par la Banque centrale aboutirait au système de la planche à billets. Est-il inévitable ? Dans la situation critique de l'économie nationale, le retour à une politique de création monétaire sans contrepartie paraît incontournable. L'Algérie n'échappera pas à "l'argent magique", celui qui vient du futur !