L'Algérie est malade de ses élites politiques. L'Algérie est malade de la lâcheté de ses intellectuels ! Oui, ils l'ont fait, nos pères et nos grands-parents, cette grande révolution pour l'indépendance et pour la démocratie. Mais nous n'avons pas su comment construire un grand pays à l'image du rêve de cette grande révolution. Faire une révolution armée est une noble action historique, et construire un pays neuf et moderne en est une autre ! Et celui qui excelle dans la guerre ne peut être excellent dans la gestion et la construction d'un pays sortant de la cendre et des larmes. Certes, beaucoup de choses ont été réalisées, depuis ce fameux 5 juillet 1962. On ne peut nier cela. Mais le rêve des chouhada et des moudjahidine était plus vaste et plus ailé que ce que nous avions opéré dans notre pays, ce que nous avions fait de notre indépendance. Je relève tout cela, avec amertume et regret, parce que la nouvelle génération continue à vivre dans la misère. Toutes sortes de misère. Trente mille établissements pédagogiques, un peu plus. Cent universités, un peu plus ou un peu moins. Cinquante mille mosquées, beaucoup plus. Cent partis politiques, un peu moins ou un peu plus, qu'importe le nombre. Cent journaux, Allah y'barek, nationaux et régionaux, en arabe et en français. Une trentaine de chaînes de télévision, légales, clandestines ou semi-clandestines ! Et l'assassinat sauvage de la jeune fille Chaïma aux portes d'Alger, en plein jour, n'est pas un fait divers. La liste des enfants, des femmes et des fillettes enlevées, assassinées et violées est longue et alarmante. La plaie est profonde, la colère aussi. L'abominable assassinat de Chaïma n'est que le constat de notre échec, nous tous. Oui, nous tous, à commencer par les intellectuels. Oui, l'Algérie est malade de ses élites politiques, de la lâcheté de ses élites. L'assassinat de Chaïma et des autres belles Chaïma est la preuve d'un échec général et généralisé, dans l'école, dans la culture, dans la mosquée, dans la morale, dans la famille... L'horrible assassinat de Chaïma est le signe de notre lâcheté intellectuelle. L'indice de l'absurdité des partis politiques de ce pays, tous les partis sans exception aucune : islamistes, nationalistes, gauches, droites, centres, libéraux, dans l'opposition, dans la mangeoire du pouvoir ou dans l'attente des bottes de foin ! Oui, nous avons échoué : nous, vous et eux, dans la politique, dans l'économie, dans la pédagogie, dans la religion, dans la culture, dans la recherche, dans l'urbanisme, dans le sport, dans l'amour. Il faut avouer notre incapacité, notre carence, de faire de l'Algérie un grand pays, à l'instar de l'Allemagne, de l'Espagne, du Portugal, de l'Italie, de la France, du Vietnam, de la Coré du Sud... Nous avons tout et nous n'avons rien ou presque ! Et par-dessus tout, nous menons un discours triomphal avec une rhétorique maladive ! Nous vivons dans un monde à la taille d'un écran de smartphone. On ne découvre pas la roue. On ne découvre pas la lune. Ni le bouton d'une chemise ! Donc, il faut faire comme les autres, les victorieux, les réussis, les gagnants ! Le monstre qui a assassiné Chaïma a fait l'école algérienne comme tous ses pairs, a prié derrière un imam comme tous ses pairs, a pris le transport en commun comme tous les habitants de son village, ou les habitants de tous les villages d'Algérie. L'ogre est le fruit de notre matrice. Cet ogre sanguinaire n'est pas seul, il n'est pas un cas isolé. Sur les réseaux sociaux on lit des milliers de commentaires de soutien au bourreau. Des commentaires dont leurs expéditeurs prennent clairement la défense du sanguinaire, à visage découvert ! Des avocats et des médecins ! D'autres disent, à visage découvert : "Si ce n'était pas lui, nous le ferions à sa place !" Oui, l'ogre n'est pas seul dans la forêt, il n'est pas un loup égaré, il n'est pas un cas isolé. Les monstres sont partout, et ils n'attendent que l'occasion pour violer, torturer, kidnapper, tuer et brûler les femmes, les enfants et les fillettes ! Cet ogre par son acte barbare, ces commentateurs qui prennent sa défense en toute liberté et qui vivent parmi nous, nous ont enseigné les cinq vérités : - Dans notre société être femme est une accusation perpétuelle et générale. - L'obsession sexuelle est la maladie la plus répandue dans notre société. - Le rapport assoiffé au corps de la femme détermine une misère sexuelle absolue dans notre société. - Le corps de la femme est le centre d'une culture machiste aveuglée par l'idée de la possession, de la dévoration, de l'humiliation et de la répudiation. - L'acte sordide et assassin du violeur est souvent encouragé ou justifié, par cette société hypocrite et déséquilibrée, sans interpellation aucune. L'ogre est parmi nous, en nous ! La jungle est propice !