Une interrogation provocatrice mais nécessaire au vu des tristes réalités que nous vivons. Certes il existe quelques individualités politiques de valeur, des électrons libres, mais en aucun cas, on ne peut parler de classe politique à proprement dite. À cela, il existe des raisons objectives et historiques. Nos élites ont toujours brillé par leur trahison, du moins en grande partie. Regardons un peu ce qui s'est passé durant la guerre de libération : seule une minorité avait rejoint d'emblée le combat libérateur et beaucoup ont été tués par leurs propres frères – le malheureux Abane Ramdane en est un exemple frappant. Quant aux autres, ils avaient campé au carrefour des vents pour rejoindre tardivement Tunis ou les intrigants des frontières. C'est cette lâche « désertion » qui a permis à des bravaches et autres aventuriers de prendre en main la révolution, puis le pouvoir en 1962, avec les graves dérives que nous connaissons et dont le pays paie les conséquences aujourd'hui. Après 1962, le pouvoir a su phagocyter très tôt la majeure partie de notre « élite », tant intellectuelle que politique. Cette dernière a bradé el mebda (le principe) pour la khobza. C'est ce que certains historiens ont appelé la « socialisation des élites ». Il faut avoir l'honnêteté de dire que l'Algérie n'est pas seulement malade de ses dirigeants corrompus et ignares, mais aussi et surtout de ses élites lâches ! Le constat est déplorable. Les valeurs et les idéaux qui avaient fait la force de notre Nation durant la nuit coloniale ont pratiquement disparu, laissant place à la kfaza (aptitude à magouiller), à l'opportunisme, à la médiocrité affligeante et au trabendo politico-intellectuel. Le régime ne veut certes pas de classe politique réelle. Il a totalement perverti l'action politique en façonnant des partis et des pantins politiques de service (et contrôlés par les « services »). Et la servilité d'une certaine « élite » que nous qualifions « d'affamée » (dji'ana), l'a grandement aidé dans son « œuvre ». De véritables troubadours politiques qu'on agite à l'occasion des mascarades électorales et référendaires. Malek Bennabi disait à ce sujet : « La politique est une réflexion sur la manière de servir le peuple. La boulitique est une somme de hurlements et de gesticulations pour se servir du peuple. » C'est ce à quoi nous assistons depuis la supercherie démocratique de 1988. Le verrouillage des champs politique et médiatique par le régime illégitime ne suffit pas à lui seul pour expliquer cette anesthésie générale dans laquelle baigne la société et ses supposées « élites ». Le début de ce verrouillage remonte à l'indépendance et à la prise sanglante du pouvoir par les imposteurs d'Oujda et de Ghardimaou. Il ne date pas du coup d'Etat de janvier 1992. Il fait partie de la stratégie de gestion politique du pays pour empêcher toute velléité politique autonome de s'organiser et de s'exprimer. Cela est un fait indéniable. Il y a aussi ce laminage par la violence, l'intrigue et l'infiltration des très rares partis politiques représentatifs du début des années 90 et leur remplacement par des partis maison corvéables et malléables à merci. Mais cela est de bonne guerre de la part du régime immoral dont on connaît la nature totalitaire et qui s'agrippe par tous les moyens au pouvoir. À quoi devons-nous nous attendre d'un système aussi délinquant ? Mais à nos yeux, la lâcheté de nos « élites » intellectuelles et politiques est en grande partie, responsable de cette anesthésie politique. C'est ce vide sidéral qui permet à ce pouvoir de se mouvoir avec une aisance déconcertante. En réalité, la force du régime réside en notre faiblesse criarde à nous entendre sur des principes démocratiques communs et à nous organiser. Et le dernier drame national l'a éloquemment montré. Nous avons été sidérés par le comportement de nombreux « intellectuels » et « politiques » devant la tragédie de notre peuple. Beaucoup se sont trompés de cible et certains...de société ! Nous citons souvent le cas de la résistance des intellectuels tchécoslovaques, avec à leur tête Vaclav Havel, qui avaient à affronter non seulement la redoutable police politique de leur pays, mais aussi la tristement célèbre machine répressive soviétique. Ces consciences libres et incorruptibles n'ont pas eu peur de faire de la prison et de perdre leurs privilèges sociaux pour défendre leurs idéaux et servir leur peuple. Ils ont été ces minces lueurs qui ont éclairé leur société plongée dans les ténèbres du totalitarisme communiste, qui se sont transformées en une lumière éblouissante au lendemain de la chute du mur de Berlin, pour la guider sur la voie de la « révolution de velours ». Nous entendons déjà des « intellectuels » nous dire : « Oui, mais la conjoncture internationale était différente ! » Tous les prétextes sont bons pour se débiner et se soustraire à la lutte politique ! Avons-nous une élite de cette trempe pour sortir la Nation algérienne des ténèbres de l'imposture politique ? Avons-nous une élite prête à se sacrifier pour son peuple et le rétablir dans ses droits usurpés un certain été 62 ? La question reste posée… Salah-Eddine SIDHOUM