Le village Aguemoune Nath Ammar (commune de Taourirt Ighil) est sorti de l'anonymat depuis jeudi dernier en remportant le premier prix du concours du village le plus propre organisé par l'APW de Béjaïa. En cette matinée automnale du dimanche 11 octobre 2020, trois jours après sa victoire, on s'est rendu dans ce village, désormais le plus propre de la wilaya de Béjaïa, pour une visite guidée par les membres du comité de village et ceux de trois associations. Il était presque 10h lorsque nous sommes descendus du véhicule de l'un des membres du comité à la placette centrale de ce village, où attendaient un autre membre du comité et ceux du mouvement associatif. Quelques dizaines d'habitants du village sont présents. À première vue, l'entrée du village offre une image d'une cité agréablement propre. Pas la moindre ombre d'une ordure. "C'est le fruit d'un effort collectif des habitants de notre village. C'est beaucoup d'efforts et de nuits blanches au profit d'une culture environnementale saine", nous a déclaré de prime abord M. Amoura, un sexagénaire et membre du comité de village, avant d'entamer notre visite guidée. Tout a commencé, nous dit-on, par une journée de volontariat, en 2008, consacrée à l'entretien et à la réalisation d'une clôture au cimetière du village. Puis une dynamique citoyenne est née. Avec le temps, le village a vu la création d'une dizaine d'associations activant dans différents domaines. Ainsi, une synergie entre le mouvement associatif et le comité de village a vu le jour. "Le comité de village est notre autorité morale", tient à préciser Khaled Abdelmoumen, de l'association religieuse de la mosquée du village. Une organisation sociale modernisée, ajoute-t-il. "Ce n'est plus sous forme de tribus composant le village que le comité est installé. On a scindé notre village en cinq quartiers. Chaque quartier désigne ses représentants au sein du comité", nous explique M. Amoura. Et d'ajouter : "Le comité de village est composé de 49 membres répartis sur des commissions, dont un comité des sages. Chaque commission est chargée d'une tâche bien définie." Cette instance morale est composée de personnes de tous âges. Il n'est plus gérontocratique. "Le comité des sages est chargé de régler les conflits entre les habitants au niveau local sans recours à la justice", tient à souligner M. Amoura. Les ruelles que nous avons sillonnées en compagnie de nos guides suffisent pour témoigner des efforts consentis et de l'abnégation des habitants du village pour mériter cette récompense de premier village le plus propre. Toutes les ruelles ont été dallées de pavés et embellies de pots de fleurs. "Nous avons loué un engin, et nous avons extrait cette pierre dans un site en bas du village. Son extraction nous a pris 28 jours", nous fait savoir Oudira Saïd, l'un de nos guides et membre actif de l'association touristique du village. Le village a, il faut le reconnaître, subi une transformation radicale en termes de cadre de vie. "Le village s'est pris en charge tout seul" S'agissant du volet financier, le village s'est pris en charge tout seul par le biais des cotisations de ses habitants à raison de 1 200 DA par an et par foyer. "Notre village et nos associations n'ont bénéficié d'aucune subvention de l'Etat. Toutes les réalisations sont faites sur la base des cotisations de nos habitants et, parfois, des quêtes auprès des gens aisés du village", nous ont fait part nos interlocuteurs. La communauté émigrée du village n'est pas en reste dans ces contributions financières. Cette communauté s'est dotée, elle aussi, d'un comité qui se charge des cotisations des expatriés. "C'est M. Amoura, du comité de village, qui est l'intermédiaire avec nos émigrés. C'est à lui que leurs cotisations sont envoyées", signale un membre, avant d'ajouter : "Les habitants du village établis à Alger participent eux aussi." Cela pour signifier que le village sait compter sur lui-même. "On n'a pas attendu le concours du village le plus propre de la wilaya de Béjaïa, initiative louable de l'APW, pour nous lancer dans l'opération environnementale de notre cité. C'est particulièrement en 2014 que de grands travaux ont été menés", signale un membre. Les travaux concernent la réalisation d'une nouvelle canalisation d'eau potable alimentant le village à partir d'un captage d'une source naturelle, située dans la montagne surplombant le village. Aussi, la réalisation d'un abreuvoir, d'une fontaine publique et de toilettes publiques sur la grande placette à l'entrée du village. C'est à partir de la réalisation de ces gros œuvres, nous explique-t-on, que les habitants du village font des propositions en assemblée générale sur les propriétés des actions d'intérêt général à entreprendre à l'avenir. Et à l'annonce de l'institution d'un concours du village le plus propre, nous dit-on, un membre de l'association du village est allé à l'APW retirer les formulaires de participation. "En assemblée générale du village, il a été décidé unanimement de se lancer dans cette aventure", signale pour sa part M. Kezoul, membre de l'une des associations du village. "Même si on n'a pas gagné ce trophée, le concours nous a stimulés davantage dans notre œuvre au profit d'un environnement des plus propres", a ajouté cet intervenant. Actuellement, d'autres projets sont en cours de réalisation. Il s'agit notamment d'un parking d'une capacité de 25 places, de deux placettes publiques plus spacieuses et d'un atelier de tri et de recyclage des ordures ménagères. Pour ce dernier, un site est d'ores et déjà aménagé où sont triés les ordures, le plastique, le verre et le carton. "On va acheter incessamment un broyeur", nous signale-t-on. L'hygiène, une question d'éducation L'hygiène est la question préoccupante des habitants du village. Elle est placée au centre de toutes les tâches entreprises. En effet, dans toutes les ruelles du village, a-t-on constaté, des corbeilles métalliques pour séparer les déchets organiques, le verre, le plastique et le carton sont installées. "Les déchets sont triés dans chaque foyer. La propreté est une affaire de tout un chacun", estime-t-on. Ainsi, soutiennent nos interlocuteurs, l'éducation des enfants à la culture environnementale est cruciale. "Nous avons beaucoup misé sur l'éducation à l'environnement de nos enfants. C'est l'un de nos objectifs", affirme M. Oudira à cet effet. Pour ce faire, signale-t-on, le comité de village et l'association écologique ont compté sur la sensibilisation parentale dont ils ont fait leur devise. "Le tri sélectif commence dans la cuisine auprès des femmes. C'est à ce niveau que le gros du travail de sensibilisation est mené", précise-t-on. Puis, ajoute-t-on, les corbeilles sont vidées au centre de tri aménagé. L'association écologique du village veille sur cet aspect. L'apport incommensurable des femmes La gent féminine n'est pas restée en marge de ce combat au profit d'un environnement propre. Elle s'est impliquée corps et âme grâce à l'association féminine Tafat du village. Sous l'égide de cette association, des assemblées générales de femmes sont tenues dans les cinq quartiers du village et font leurs propositions. Ce sont elles, à titre d'exemple, qui se chargent de l'entretien, de l'arrosage notamment des pots de fleurs installés dans les quartiers. "Les femmes riveraines des quartiers entretiennent au quotidien les fleurs. Chaque soir, elles font rentrer ces pots de fleurs chez elles et les réinstallent à leurs places dans la matinée avant chaque arrosage", apprend-on auprès de nos guides. Elles participent aussi à d'autres tâches d'embellissement des artères du village. Des actions d'embellissement essentiellement orientées sur la réalisation des fresques murales. Des dessins d'objets traditionnels et de ceux qu'on retrouve sur les tapis traditionnels. "Il y a de vieilles femmes au village qui ont ce don", signale-t-on. D'autres fresques sont l'œuvre d'un ancien étudiant des Beaux-Arts. L'association féminine Tafat du village donne, signalent nos vis-à-vis au passage, des cours d'alphabétisation au profit des femmes illettrées. Les résultats sont encourageants pour le comité de village. Ladite association organise également des excursions en compagnie d'un membre du comité de village sur des sites touristiques et historiques de la wilaya de Béjaïa tels que le Lac noir, dans l'Akfadou, et Gouraya. En somme, hommes et femmes du village œuvrent en commun dans l'intérêt général pour un meilleur cadre de vie. Il était midi passé lorsque nous avons quitté ce village le plus propre de la wilaya de Béjaïa. Son nom est gravé à jamais dans l'histoire. Ses habitants pensent d'ores et déjà à décrocher le premier prix du village le plus propre de la prochaine édition du concours de l'APW.
