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La détresse des patients non-Covid
Déprogrammation des actes chirurgicaux et des hospitalisations
Publié dans Liberté le 29 - 10 - 2020

Les hôpitaux sont confrontés à un flux de malades de plus en plus important. Les urgences chirurgicales et médicales sont assurées tant bien que mal, mais beaucoup de services spécialisés sont "sacrifiés" au profit des patients testés positifs au coronavirus.
"Nous avons été consternés d'apprendre que nous devons quitter l'hôpital mercredi (28 octobre, ndlr) et suspendre notre prise en charge médicale car l'hôpital est à nouveau dédié aux patients Covid-19, sans prendre en considération notre situation affligeante."
C'est en ces termes, qu'un groupe de malades, hospitalisé à l'EPH de Ben Aknoun, transmet son cri de détresse au ministre de la Santé, par le biais d'une lettre ouverte, dont Liberté détient une copie.
"Est-ce concevable de priver ainsi de soins, des personnes souffrant de fractures des os, de paralysie et autres problèmes orthopédiques pour réserver leurs lits aux patients Covid ?" ont-ils poursuivi, implorant le ministre de trouver des solutions afin qu'ils ne soient pas "chassés de l'hôpital".
Le personnel et les locaux des unités de rééducation fonctionnelle, de neurologie et de rhumatologie sont affectés à la prise en charge des cas déclarés positifs au coronavirus. Les témoignages des patients non-Covid de ces services sont touchants.
Originaire de la wilaya de Guelma, Asma a subi une intervention chirurgicale à la cheville. Au mois de juin, elle a été hospitalisée au service de rééducation fonctionnelle pendant 20 jours. Elle a été déclarée sortante avant de terminer sa thérapie quand les lits du service ont été réquisitionnés pour faire face à un pic de contaminations au coronavirus.
"J'ai pris du retard dans la récupération de la motricité. Je me suis rapprochée d'un établissement privé, mais je n'avais pas les moyens de payer 1 200 DA pour une heure de rééducation."
La jeune femme a été hospitalisée, à nouveau, à l'EHS de Ben Aknoun, début octobre. Elle est confrontée, encore une fois, à une déprogrammation de son séjour hospitalier à cause de l'épidémie.
L'histoire de Fahima est bouleversante. Âgée de 25 ans à peine, elle se meut en fauteuil roulant. Sa polyarthrite rhumatoïde a évolué en des déformations irréversibles, après avoir attendu pendant des semaines une admission en biothérapie.
Abderrahmane, vingt ans, est paraplégique des suites d'une blessure médullaire (atteinte de la moelle épinière causée par une chute). Il est suivi, depuis son accident, régulièrement dans cet établissement hospitalier des hauteurs de la capitale.
Ses contrôles ont été suspendus brutalement dès que les autorités sanitaires ont pris des dispositions particulières pour faire face à la deuxième vague des contaminations par le Covid-19. Conséquence : le jeune homme a développé des escarres. D'autres paraplégiques et tétraplégiques se plaignent d'infections urinaires et d'atteintes rénales.
Le pronostic vital de ces patients peut être engagé rapidement, alertent les médecins. "Le personnel médical s'est démené pour nous transférer vers l'EHS de Tixeraïne. Malheureusement, il n'a pu assurer que deux places pour les cas les plus graves. Deux autres malades ont pu être casés aux urgences orthopédiques.
Nous autres sommes obligés de rentrer à la maison", indique Asma. Le 24 octobre, le ministère de tutelle a adressé aux directeurs des centres hospitaliers une note les instruisant de mettre 50% de leurs lits d'hospitalisation à la disposition des équipes Covid.
Dès lors, de nombreux services hospitaliers ont été vidés de leurs patients. Généralement, les activités de médecine interne, d'oncologie, de pneumologie, de pédiatrie et de chirurgie générale sont maintenues.
"Nous n'avons pas interrompu les consultations spécialisées et les hospitalisations, afin de ne pas avoir des listes d'attente", affirme le professeur Samia Chemali, chef de service de médecine interne à l'EHS de Rouiba.
"La limite des places nous contraint à ne pas accepter d'hospitaliser des patients non-résidents de la région d'Alger-Est", précise-t-elle. Les pôles hospitaliers ont certes préservé les prestations d'urgence, en réduisant toutefois le flux des admissions. Les interventions chirurgicales non urgentes sont systématiquement repoussées de quelques semaines.
"La situation est grave. Le CPMC n'a pas fermé ses portes. Les retards s'accumulent dans la prise en charge", relève Mme Gasmi, présidente de l'association Nour-El-Houda d'aide aux personnes atteintes de cancer. Elle cite le cas d'une patiente, récemment opérée d'une tumeur maligne au côlon au CHU Lamine-Debaghine de Bab-El-Oued.
"On l'a fait sortir hier (mardi 27 octobre, ndlr) pour éviter tout risque de contamination par le Covid. Les soins lui seront prodigués à domicile, lui a-t-on dit. À une autre patiente, on a recommandé de réaliser le bilan dans un laboratoire privé", rapporte notre interlocutrice. Les rendez-vous en radiothérapie et en chimiothérapie ne sont plus fixés depuis des semaines aux nouveaux cas de cancer.
Les hôpitaux sont confrontés à un flux de plus en plus importants de malades. Les urgences chirurgicales et médicales (oncologie, traumatologie, cardiologie...) sont assurées tant bien que mal. D'autres spécialités, considérées à tort ou à raison comme sources de soins pouvant être différées, sont sacrifiées au profit des patients Covid positifs.
Selon de nombreux praticiens de la santé et d'associations de malades, il aurait été plus simple d'installer un hôpital de campagne ou de dédier une structure hospitalière dans son ensemble et dans chaque ville aux formes graves d'infections au coronavirus au lieu de les essaimer dans tous les centres sanitaires. D'autant qu'il sera laborieux, de rattraper, à terme, les différents paliers d'actes médicaux et chirurgicaux déprogrammés.

Souhila H.


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