Liberté : Les Etats-Unis s'apprêtent à vivre une présidentielle particulière, dans un contexte de crise sanitaire qui a entraîné une grave crise économique. Quels pronostics faites-vous de ce scrutin ? Mahmoud Belhimer : Il est difficile de dire avec certitude qui des deux candidats va gagner, pour deux raisons : la première, c'est que la course est très serrée dans les principaux Etats ; la deuxième, c'est que ceux qui surveillent de près ces élections surveillent avec beaucoup de prudence les résultats des sondages d'opinion à cause de l'épisode des élections de 2016 où les attentes étaient que la candidate démocrate Hillary Clinton gagnerait, mais Donald Trump a remporté une victoire écrasante. Cependant, il y a des indications que le candidat démocrate, Joe Biden, est en meilleure posture que Trump. Les sondages d'opinion, indispensables, ont montré, contrairement à ce qui s'est passé avec Hillary Clinton, une progression constante pendant des mois pour Biden aux dépens de Trump dans les Etats cruciaux, avec une différence de 12 points de pourcentage dans certains Etats, et Trump n'a pas réduit cette différence jusqu'à aujourd'hui, même après le troisième et dernier débat de la semaine dernière, au cours duquel sa prestation était acceptable par rapport au premier débat. Les Etats clés ou pivots sont : la Pennsylvanie, le Wisconsin, le Michigan, l'Arizona, la Caroline du Nord, la Floride, l'Ohio et l'Iowa, que Trump a remportés en 2016. En outre, il y a des indications que la base électorale de Trump se rétrécit. Après plus de trois ans à la Maison-Blanche, le président sortant ne bénéficie plus du même niveau de soutien parmi les principaux groupes qui ont voté pour lui il y a quatre ans, à savoir les chrétiens religieux, les Blancs et les personnes âgées. Le pourcentage de soutien d'autres groupes, comme les Afro-Américains et les Latinos, a diminué par rapport à 2016 aussi. La campagne électorale de Biden se concentre sur l'investissement dans les échecs de Trump, en particulier son accusation d'alimenter la division et le racisme au sein de la société américaine et ses échecs face à la pandémie de coronavirus. Mais Biden souffre également de la fragilité d'être l'incarnation de l'establishment politique à Washington dans lequel il a servi pendant plus de quatre décennies. La gestion par Donald Trump de cette crise sanitaire de coronavirus, dont il est lui-même tombé malade, aura-t-elle un impact sur sa réélection ou son éventuelle défaite face à son rival Joe Biden ? Certes, cela aura un impact négatif sur Trump, car la crise sanitaire est au centre d'intérêt de la plupart des Américains pour ces élections, en plus d'autres sujets tels que l'emploi et l'économie en général. Le taux de chômage a atteint 7,9% en septembre dernier, après avoir été inférieur à 3,5% en février, c'est-à-dire avant le déclenchement de cette pandémie. Des millions d'Américains sont incapables de payer la location de leur logement et les nécessités de la vie, à la lumière de l'échec du Congrès et de la Maison-Blanche à parvenir à un accord sur un deuxième paquet d'aide (Stimulus) pour les Américains. La masse solide de la base électorale de Trump ne le tient pas responsable de cela, et certains d'entre eux relaient les théories du complot selon lesquelles le coronavirus n'existe pas, ce qu'ils considèrent comme un stratagème pour frapper Trump et l'Amérique ! Mais un grand nombre d'Américains estime que Trump n'a pas réussi à gérer la crise depuis le début et n'a pas de programme clair pour faire face à l'épidémie aujourd'hui, et que les souffrances actuelles des Américains et le nombre élevé de victimes (plus de 225 000) auraient pu être contrôlés si le gouvernement fédéral avait pris des mesures en temps opportun. Son rival Joe Biden a misé sur la protection de l'environnement lors de sa campagne électorale. Les lobbys pétroliers ont-ils assez de poids pour lui barrer la route vers la Maison-Blanche ? Cette question est très importante et est actuellement au cœur de la bataille électorale. Pourquoi ? Parce que c'est un point de discussion important dans l'un des principaux Etats instables, la Pennsylvanie, qui connaît une grande reprise du gaz de schiste, et il y a une classe ouvrière qui forme un bloc électoral important pour les deux partis. Biden a parlé dans le dernier débat de l'intention de passer de l'industrie pétrolière, qui est très polluante, selon lui, à des énergies propres pour faire face au changement climatique. Mais Trump a sauté dessus pour dire que Biden empêchera l'exploitation du gaz de schiste, ce qui signifie l'élimination de l'industrie pétrolière dans ces Etats et d'autres Etats comme le Texas, l'Oklahoma et l'Ohio... Bien sûr, et depuis lors, la campagne Trump et les lobbies de l'industrie pétrolière ont tenté d'exploiter les déclarations de Biden pour dire que sa politique éliminera de nombreux emplois dans le secteur de l'énergie. Et ce type de messages a certainement un impact sur la classe ouvrière dans un certain nombre d'Etats. On peut dire que Biden a fourni des munitions gratuites à Trump, parce que ces déclarations peuvent le priver des votes dont il a désespérément besoin dans certains Etats, où la base économique est l'industrie pétrolière, y compris la Pennsylvanie, qui compte vingt délégués. Biden a tenté de réparer en disant que ses politiques chercheraient à contrôler les émissions provenant de l'exploitation du gaz de schiste pour préserver l'environnement et travailleraient à réduire les émissions à effet de serre à zéro dans le secteur de l'énergie d'ici 2035, et dans tout le pays d'ici 2050. Des responsables du Parti démocrate sont intervenus, soit pour réduire l'impact des déclarations de Biden ou pour le désavouer. Biden a du mal à concilier les demandes des écologistes, qui est une base importante pour le Parti démocrate, et les lobbys du secteur pétrolier, ainsi que de la classe ouvrière cherchant à préserver les emplois. Trump, en revanche, ne s'intéresse pas aux voix des écologistes et des nouvelles énergies et cherche à gagner le lobby de l'industrie pétrolière et des travailleurs du secteur. Il dit qu'il a contribué à la renaissance du secteur depuis son arrivée à la Maison-Blanche et à la création de nouveaux emplois. Il faut attendre les résultats des élections pour voir les résultats de la campagne qui a fait rage sur cette question.