Le mouvement citoyen a pesé dans l'équation, sans démonstration de force. Des activistes évoquent une rupture consommée entre le peuple et les plus hautes autorités de l'Etat. Le taux d'abstention au référendum sur la réforme constitutionnelle caracole à 76,28%. Ce qui représente un gisement de plus de 19 millions d'électeurs auquel se greffe près de 1,7 million de voix exprimées contre la nouvelle loi fondamentale et 633 885 bulletins nuls. L'énorme proportion d'électeurs, positionnés contre un projet de l'Etat, n'aurait probablement pas atteint ce niveau, jamais égalé dans l'histoire de la République algérienne, si le pouvoir n'avait pas été confronté à un soulèvement populaire inédit depuis le 22 février 2019. "Le Hirak s'est transposé de l'expression de revendications politiques dans la rue à un ancrage dans les mentalités. Tout ce qui émane du régime est systématiquement rejeté. La rupture est consommée", commente Me Abdelghani Badi. Pour cet avocat, impliqué dans la défense des détenus d'opinion et très actif dans le mouvement citoyen, l'échec du référendum n'est pas fondamentalement lié au contenu de la Constitution amendée, sinon "comment expliquer que la Kabylie n'a pas voté alors que l'amazighité est consacrée dans le projet ? Le problème est dans l'incapacité des pouvoirs publics à réellement imposer leur feuille de route au plan politique, social et économique". Il estime que "le régime, isolé par le peuple, est dans l'impasse. Même s'il propose des solutions sérieuses, il n'aura pas l'adhésion des Algériens". Mohamed Hakim Addad, membre fondateur du Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), ancien détenu d'opinion, décrypte aussi le faible taux de participation à la consultation référendaire sous l'aune des distorsions entre les aspirations de la majorité des citoyens et les plans des plus hautes autorités du pays. "La forte abstention est une réponse cinglante de la population, hirakiste ou pas, au régime. Ainsi, elle a exprimé son indifférence face à tout ce qu'il propose." Il précise que les électeurs n'ont pas voté malgré la propension des pouvoirs publics à interdire l'animation d'une campagne contre le référendum ou le débat contradictoire. "Si on avait laissé les opposants s'exprimer, l'abstention aurait frôlé les 80%", suppose-t-il. Notre interlocuteur relie naturellement les résultats du scrutin au virage amorcé par l'insurrection populaire dans l'appréciation des enjeux politiques. "Le Hirak est un éveil citoyen. Même ceux qui sont restés en marge de ses manifestations et ont voté à la présidentielle du 12 décembre 2019 n'ont pas participé à la mascarade référendaire", affirme-t-il. Le mouvement citoyen a pesé, assurément, dans l'équation, sans démonstration de force. Ses actions de rue sont suspendues depuis près de huit mois à cause du risque épidémique dû au coronavirus. La sentence de Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme, est sans appel : "La mise en échec du référendum est une réalisation du peuple. Je refuse de lui dénier cette victoire. Pour le reste, le combat continue." Hadj Ghermoul, incarcéré pendant six mois dans une prison de Mascara pour s'être opposé publiquement en janvier 2019 au cinquième mandat, attribue, sans équivoque, la faiblesse des voix favorables à la révision constitutionnelle à l'influence de l'opposition active. "Officiellement, c'est le premier jour dans la nouvelle Algérie dans leur entendement (les pouvoirs publics, ndlr). Permettez-moi de vous dire que c'est le premier jour du deuxième round dans notre combat", a-t-il écrit, hier, sur son compte des réseaux sociaux. Comme celle de Saïd Salhi, de nombreuses voix s'élèvent pour invalider "une Constitution qui affiche un grave déficit de légitimité". Laborieuse entreprise. Le Hirak prévaut, certes, d'un triomphe moral dans la bérézina référendaire. Mais, pourra-t-il embrayer sur cette défaite politique du pouvoir et amener les décideurs à revoir leur feuille de route, et le convaincre de négocier autour de la transition qu'il appelle des ses vœux ? Souhila H.