Mouloud Achour vient de nous quitter. Il vient de décéder à l'hôpital Maillot à l'âge de 76 ans. Natif de Tamazirt (Tizi Ouzou), il a d'abord exercé dans l'enseignement avant d'embrasser la carrière de journaliste à El Moudjahid à la rubrique culturelle, avant qu'il ne devienne rédacteur en chef du supplément culturel, paraissant tous les mercredis. Son équipe comprenait Tahar Djaout, Ferhat Cherkit, Chabha Bouslimani, Mohamed Baghdadi, Achour Cheurfi et moi-même. On faisait une joyeuse bande, et Mouloud, notre aîné, nous servait de guide et de mentor. J'ai fait la connaissance de Mouloud en 1972 au siège de l'Union des écrivains algériens où il assurait le secrétariat sous la présidence de Malek Haddad. Il coordonnait la revue Promesses qui publiait des textes de jeunes talents. J'ai été lui proposer des textes, accompagné de Tahar Djaout. Le numéro d'après, nos textes ont paru. Depuis, on ne s'est plus quittés. Il a été secrétaire permanent du Conseil national de la culture. À la dissolution de ce dernier, il a été nommé secrétaire général au ministère de l'Information entre 1991 et 1992, où j'ai eu à travailler avec lui, en tant que directeur de la coopération internationale. Il a été tour à tour président de la commission de lecture à la télévision nationale, membre du Fdatic, président pendant deux années consécutives du jury du prix du président de la République pour la liberté de la presse. Mais Mouloud n'était pas que cela, soutien des écrivains. Directeur éditorial à Casbah Editions, il sélectionnait les manuscrits reçus et redonnait une vie à ceux qui étaient retenus. Souvent, il m'avouait, avec le sourire, quand je lui disais que le livre d'untel est un bijou, que le manuscrit a été réécrit. Il ne le disait pas par orgueil ou vantardise, mais juste pour rappeler la juste part des choses. Il était humble et ne savait pas dire non. Sur son bureau aux Editions Casbah, des dizaines de manuscrits attendent que le ciseleur des mots les prenne en charge pour expurger les redondances et les néologismes et harmoniser les concordances de temps. Premier piège inévitable pour tout auteur non averti", me disait-il. Beaucoup d'auteurs ne jurent que par lui et lui vouent un grand respect. Un respect largement mérité. À titre d'exemple, Yasmina Khadra a dédicacé son dernier roman, Le Sel de tous les oublis, à deux écrivains algériens : Kaddour M'hamsadji, doyen, et Mouloud, où il écrit : "À Mouloud Achour, qui a été le premier, dans les années 1970, à lire ma toute première nouvelle d'adolescent et qui m'a encouragé à continuer d'écrire. À ces deux Algériens nobles et généreux, toute ma gratitude." Ce dernier reprend ce terme de noble que lui a déjà attribué Aboubakr Belkaïd quand il le qualifiait de "gentilhomme". Mais Mouloud n'était pas que cela. Il était écrivain, au sens plein du terme, auteur de plus de dix titres, essentiellement des nouvelles et des récits, dont mes deux préférés restent Le Survivant et Autres Récits, publié en 1971 – j'ai encore le livre avec sa dédicace quand j'ai été le voir à son bureau à l'Union des écrivains, rue Didouche-Mourad – et Les Dernières Vendanges, édité par la Sned en 1975. Il m'a offert le premier exemplaire sorti de l'imprimerie. À cette époque, j'étais directeur de l'édition en langue française à la Sned, et c'est moi qui avais eu cet honneur de le publier. En lui présentant l'ouvrage, il le feuillète, prend son stylo et me l'offre avec une dédicace. Moments inoubliables qui me reviennent en mémoire. Nous avons vécu tellement d'anecdotes ensemble. Mouloud a fait un passage à Liberté en tant que directeur de la rédaction en 2001, poste qu'il a quitté en 2003 quand je suis parti. "Je suis venu parce que c'est toi qui m'as demandé. Tu pars, donc je pars", m'a-t-il lancé quand j'ai été remplacé au poste de directeur de la publication. Il a été apprécié par toute la rédaction et le personnel pour son humilité et sa façon de régler les problèmes. Très écouté et très respecté, il était resté le même durant les nombreuses années où je l'ai côtoyé. Belkaïd, ministre de l'Information et de la Culture, l'avait choisi comme secrétaire général (directeur de cabinet à l'époque). Des années après, Belkaïd me demande de ses nouvelles, en me disant : "Au fait, que devient le gentilhomme ?" Je lui demande de qui voulait-il parler. "De ton ami, Mouloud Achour. Je voudrais bien le revoir." Et c'est ainsi que je pris Mouloud chez Belkaïd pour un café, avec un échange enrichissant. À brûle-pourpoint, je demande au ministre pourquoi il m'avait dit, parlant de Mouloud, "gentilhomme". Tout simplement, un gentilhomme est un homme noble rempli de délicatesse. Et Mouloud en est un, dans ce monde ingrat. Mouloud ne savait plus où se mettre et s'est confondu en remerciements. Mouloud a reçu des remerciements qu'il oublie dès le lendemain, persuadé qu'il n'a fait que son travail. Il pense à ce qu'il doit faire dès son réveil, chaque matin. À 76 ans, il habite toujours dans un appartement de trois pièces où il fait grandir ses enfants. Ce qui va lui manquer, ce sont ces livres qui ont investi son logement et son bureau aux Editions Casbah. Mouloud, comme tu me le dis à chaque fois qu'on se quitte, cette fois-ci, c'est à moi de te dire : "À tantôt !" Repose en paix.