“Premiers jours d'Octobre 1988. La voici soudain seule dans l'appartement déserté d'un ami. Dans la ville, des jeunes, des enfants manifestent, défilent, détruisent. La police bat en retraite. L'armée dans la ville. Les chars, la nuit. L'insurrection. Le sang dans les rues…” Assia Djebbar, Vaste est la prison. C'est tombé un mercredi, comme il y a dix-sept ans. Une journée terrible. Fatidique. Dix-sept ans plus tard, que reste-t-il du 5 Octobre ? Des acquis d'Octobre ? De l'esprit d'Octobre ? “Une grosse désillusion”, répond d'emblée Sid-Ahmed Semiane dit SAS, avant de souligner : “De l'esprit d'Octobre ne reste que la révolte. Une révolte nue qui est en chacun de nous, elle est chez les jeunes, dans la rue, dans les cafés, dans les stades. Une révolte qu'on ne peut acheter avec les crédits, les facilités de paiements, les machines à laver… Ce qui reste d'Octobre, c'est ça ; c'est juste cette révolte. Le reste, tout le reste, ça a été un échec absolu. Le multipartisme est un échec, la presse, tout.” Le chroniqueur vedette, aujourd'hui en retrait, observe tout cela, en effet, avec un regard las. SAS connaît bien le sujet, lui, l'auteur d' “Octobre, ils parlent” (Le Matin, 1998) un livre d'entretiens où il essayait de faire parler quelques-uns des acteurs d'Octobre 88. Il vient de sortir récemment un autre bouquin aux éditions La Découverte, à Paris : “Au refuge des balles perdues”, livre dédié à Me Ali Yahia Abdenour “pour l'humanité qu'il a au fond des yeux”. L'introduction du livre fait la part belle aux évènements d'Octobre justement : “5 octobre 1988. Je n'avais pas encore dix-sept ans et les chars étaient déjà là, dans la rue, pivotant dans une rotation chaotique, leurs canons prêts à cracher du mépris. Il y a des dates qui ressemblent à des tremblements de terre devant lesquels s'avoue vaincue la tectonique. C'est effrayant, un char en dehors d'une caserne. C'est comme un fauve affamé en dehors d'une cage ; il ne fait pas bon se trouver sur son chemin.” Mais le dernier pamphlet de SAS se veut aussi un sévère réquisitoire contre la presse, cette citadelle de la liberté d'expression élevée sur les morts d'octobre. Importante base avancée des forces démocratiques, la presse ne fait plus le poids, selon lui. “Aucun journal ne peut se targuer, aujourd'hui, d'avoir une totale liberté de ton”, fait-il observer. “à travers ce livre, j'ai voulu exprimer cette amertume, cette désillusion, et puis j'avais surtout besoin d'exprimer mes erreurs, là où j'ai failli soit pas paresse, soit par ignorance, soit par naïveté”, confie-t-il. Même constat, même amertume en analysant l'état de la classe politique. “C'est la faille totale des partis démocratiques”, constate l'auteur. En quatre consultations populaires consommées par Bouteflika, l'actuel locataire d'El-Mouradia a tout balayé sur son passage comme un “rouleau compresseur” comme dirait Hakim Addad. L'état d'urgence sert d'éternelle excuse pour bloquer les initiatives. Et Zerhouni qui ressasse le même leitmotiv : “Tant qu'il restera un seul terroriste au maquis, la levée de l'état d'urgence n'est pas d'actualité”, répétait-il encore il y a quelques jours. Et le score dithyrambique de ce 29 septembre de couronner le tout. “Pour moi, ce référendum marque la fin d'un cycle, la fin d'une époque. Nous avons vécu quinze ans d'illusion démocratique. Avec l'arrivée de Bouteflika, les apparatchiks s'affichent ostensiblement. On assiste à un retour effrayant des pratiques du parti unique et de la pensée unique”, résume SAS, avant de lancer avec l'humour caustique que nous lui connaissons : “Vous n'avez qu'à voir le retour de Deriassa, de Mohamed Lamari. Il faut toujours un Lamari quelque part…Le pays est plombé, sclérosé. La vraie tragédie nationale ne fait que commencer.” M. B.