Ce premier long métrage d'Amin Sidi Boumediene est un thriller psychologique, dont le propos ne retrace pas les massacres barbares perpétrés durant la décennie noire, mais les traumas subis par les victimes. Après trois courts métrages Demain Alger (2011), L'île (2012) et Serial K (2014), qui lui ont permis de se démarquer dans nombre de festivals internationaux, Amin Sidi Boumediene signe son retour, mais cette fois-ci avec un long métrage intitulé Abou Leila. Sélectionnée à la 58e semaine de la critique au festival de Cannes en 2019, cette fiction a fait un long voyage à l'international avant d'atterrir dans les salles algériennes à cause de la pandémie. Au bonheur des cinéphiles, ce film est disponible en salle depuis le 24 juin et jusqu'à la fin du mois en cours dans 16 wilayas (programme disponible sur la page du CADC – Centre algérien de développement du cinéma, coproducteur du film). Malheureusement, pour des soucis de santé, Amin Sidi Boumediene n'a pu assister, mercredi dernier, à l'avant-première donnée à la salle Ibn Zeydoun (Oref). Il a tenu à adresser un message à son public via les réseaux sociaux en indiquant : "Ce film m'a coûté tant d'énergie et tant de bonheur (à rêver, à préparer, à tourner). Ce film est comme un bébé que j'ai mis des années à accoucher, par-delà les sarcasmes, les difficultés, la solitude." Tout en poursuivant : "La vie a fait que, pour des raisons de santé, je ne serai pas présent lors de ce moment que j'attends pourtant patiemment depuis plus de 2 ans (...) Je serai en pensée avec le public algérien, celui qui finalement est le mieux à même de comprendre ce film (pour le ressentir, l'aimer, ou le détester, le rejeter)..." Effectivement, cette œuvre ne peut être réellement "ressentie", "aimée", "détestée" ou "rejetée" que par le public algérien, car son histoire fait partie de lui, de la mémoire collective. Nous sommes dans l'Algérie de 1994 où le spectateur se retrouve "embarqué" à bord d'un 4x4 en compagnie de Lotfi (campé par Lyès Salem) et S (l'excellent Slimane Benouari) pour un road movie dans le désert. Ces deux hommes, amis de longue date, décident de parcourir le Sud à la recherche d'Abou Leila, un sanguinaire ayant choisi le côté obscur des islamistes durant la décennie noire. Prêts à tout pour arrêter ce terroriste qui a transformé la vie de l'un de ces protagonistes en véritable enfer, ces deux acolytes devront faire face lors de ce périple à leurs démons intérieurs. Quittant ainsi le Nord où règne le chaos, le Sud et ses paysages époustouflants ne seront nullement de tout repos, car une âme torturée ne retrouve la paix qu'à sa libération. Pour son premier long métrage, Amin Sidi Boumediene a proposé un thriller psychologique, qui replonge le spectateur dans les abysses de cette phase de l'histoire contemporaine de l'Algérie. Le propos du film ne retrace pas les tueries et massacres barbares perpétrés, mais les traumas subis par les victimes et leur impact sur la société. "S" est shooté aux calmants, son esprit vacille entre la réalité et l'imaginaire ; entre l'obsession (pour Abou Leila) et la résignation ; entre la peur et le courage. Victime d'un double traumatisme, ce jeune ordinaire devient paradoxalement un bourreau. Outre le volet psychologique, le réalisateur a usé de scènes gore – qui rappellent les films des années 80 – pour évoquer ainsi le côté bestial et animal de l'homme ; la ligne rouge entre le bien et le mal... Abou Leila est traversé par de magnifiques prises d'images du grand Sud algérien ainsi qu'une brochette d'acteurs, tels que Samir Elhakim, Aziz Boukerouni, Mohamed Frimehdi, Meryem Medjkane ou encore Mourad Oudjit. Dans cette fiction de 2h20, le cinéaste offre un voyage introspectif qui ne peut laisser le spectateur de marbre. En effet, même si les avis divergent, pour certains dans le public les sentiments enfouis sur cette période passée mais si proche encore ont rejailli des ténèbres ! Amin Sidi Boumediene, à travers cette fiction, a réussi un véritable "travail de mémoire", pour que nul n'oublie ! Qu'il soit "rejeté" ou "aimé", le film Abou Leila, coproduction Thala Films, In Vivo et CADC, est une œuvre à découvrir !