Né dans les Vosges en 1939, Jack Lang fait ses études à Nancy puis à Paris où il obtient le diplôme de Sciences-po et une licence en droit en 1961, ce qui lui permet de devenir professeur de droit international aux universités de Nancy et de Nanterre. Entre 1981 et 2002, il est nommé deux fois ministre de l'Education nationale et autant de fois ministre de la Culture. Ceux qui visitent la France doivent savoir qu'il est le créateur de la Fête de la musique en 1982, des Journées du patrimoine en 1984 et de la Fête du cinéma en 1985. Il a également lancé une politique architecturale de grands travaux à Paris concernant le Louvre, la Bibliothèque nationale de France, l'Opéra Bastille, l'Arche de la Défense... Elu conseiller municipal, maire et député à plusieurs reprises, il préside depuis 2013 l'Institut du Monde arabe (IMA) de Paris. C'est à ce titre qu'il a bien voulu accorder un entretien à "Liberté". Liberté : Le monde a perdu, en décembre dernier, un homme de grande valeur en la personne de Desmond Tutu, militant anti-apartheid, prix Nobel de la paix. Voulez-vous nous livrer un témoignage sur ce grand homme que vous avez connu ? Jack Lang : C'était un homme haut en couleurs, pétillant d'intelligence, de générosité et d'humour. Il était très fortement engagé dans le combat contre l'apartheid. Je l'ai connu à l'époque où Mandela était encore emprisonné. Desmond Tutu était la voix du peuple d'Afrique du Sud. Je l'avais invité à Paris, à un symposium mondial des droits de l'Homme que j'avais organisé en 1985. Sa vie publique est connue, c'est un homme de conviction, non seulement par l'engagement qui était le sien contre l'apartheid, pour la libération de Nelson Mandela, mais aussi, ensuite, vis-à-vis du pouvoir de l'African National Congress (ANC), le parti de Mandela. Fidèle à ses convictions, il s'est élevé contre la corruption ou contre certains comportements sectaires. Desmond Tutu, figure exemplaire et conscience morale, était un homme de courage, de conviction et de bonté. Il était un militant de la liberté, toute sa vie, jusqu'au bout. Le ministère français de la Culture vient de décider l'ouverture anticipée des archives sur la Guerre d'Algérie. Quelle est, selon vous, la portée de cette mesure ? Personnellement, je trouve que c'est une bonne chose en général d'ouvrir beaucoup plus tôt les archives publiques. Les délais en France sont beaucoup trop longs. Les travaux des historiens se trouvent paralysés par cette difficulté d'accès aux archives publiques. C'est donc en soi une très bonne mesure. Sur les archives de la Guerre d'Algérie et les rapports entre l'Algérie et la France, je suis évidemment heureux de cette initiative. Il n'y a pas de raison de ne pas montrer ce qu'a été la réalité. Je ne sais pas ce qu'il y a dans ces archives par définition et ce qu'elles apporteront à la connaissance de l'Histoire, mais en soi, c'est une très bonne mesure.
Voudriez-vous résumer, pour nos lecteurs, le rôle de l'IMA et ses perspectives ? L'IMA est un pont entre les cultures des pays arabes et les cultures des autres pays, notamment européens et en particulier la France. C'est une institution fondée sur le dialogue, le respect et l'ouverture. C'est ce que je tente moi-même de faire vivre à travers les colloques, les rencontres, les conférences, les expositions, les concerts, les projections de films. Donc l'IMA est un lieu qui permet, je l'espère, de mieux connaître le ou les mondes arabes. Par ailleurs, il est un point très important que j'ai beaucoup développé depuis mon arrivée, c'est l'enseignement de la langue arabe qui, aujourd'hui, est assuré à un très haut niveau de qualité à l'Institut. J'ai surtout imaginé et proposé la création, assez unique en son genre, d'un système de certification internationale des niveaux de compétence, de connaissance en langue arabe, un peu à la manière du TOEFL pour la langue anglaise. D'autres systèmes existent pour d'autres grandes langues universelles, la langue arabe en étant une. Durant cette année 2022, l'Algérie sera bien présente à l'IMA... Comme vous le savez, et les Français aussi devraient le savoir, l'année qui s'ouvre est celle du 60e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie. Nous avons imaginé toute une série de programmations qui mettent en valeur l'Algérie, son histoire, sa culture, ses créations et cette année sera, pour l'IMA, marquée par une série d'initiatives destinées, je le répète, à mettre en lumière l'Algérie vivante. L'année 2022 débutera par cette exposition imaginée par le photographe Raymond Depardon et le journaliste et écrivain Kamel Daoud (présentée lors d'une conférence de presse le 3 décembre 2021 à l'IMA, ndlr). Ils ont travaillé ensemble, c'est un double regard du photographe et de l'écrivain sur 60 années de vie en Algérie et spécialement à Alger. A l'occasion de cette année marquant le 60e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, plusieurs événements sont programmés à l'IMA. Il en est ainsi d'une exposition d'arts contemporains et modernes sous le nom de "Algérie mon amour", du 15 mars au 11 juillet 2022, d'une autre exposition toute particulière autour de l'œuvre d'un magnifique peintre algérien malheureusement décédé, Abdallah Benanteur ; ce sera à la rentrée de septembre. Par ailleurs, il y a des colloques envisagés, de nombreux débats en relation avec la colonisation, la Guerre d'Algérie, les Accords d'Evian, etc. Et puis, il y aura une programmation très importante de films algériens de cinéma, anciens et récents, beaucoup de concerts d'artistes algériens. Ce sera une année très riche. D'ailleurs, nous avions facilité une première programmation algérienne au festival francophone d'Angoulême au mois d'août dernier, où il y a eu une cinquantaine de films, des expositions, et qui a eu un grand succès. L'Algérie a toujours été à l'honneur à l'IMA, elle le sera tout spécialement en cette année 2022.