Mohamed Damerdji a de tout temps nourri le rêve d'offrir son parcours révolutionnaire (1956-1962) aux glorieuses chroniques de notre histoire. D'ailleurs, le Demirci, qui signifie forgeron et qu'il a hérité de l'ère ottomane, lui donne le caractère trempé dans l'acier si propre aux hommes élevés à la dure dans La Casbah et l'Algérie occupées. C'est dire qu'il n'a vécu que pour la quête d'archives et s'abreuvait de témoignages de presse qu'il découpe au jour le jour et qu'il corrobore avec des gens qu'il a connus et des faits qu'il a vécus. En plus qu'il s'est fait documentaliste, l'homme "buvait" également les paroles des témoins lors des tables rondes inhérentes à l'évocation d'illustres personnages qu'il a côtoyés dans le feu de l'action et des événements dont il a été l'acteur dans sa tendre jeunesse. Si tant qu'aujourd'hui, à l'âge de 86 ans, il est arrivé jusqu'au bout de son ambition, à savoir l'écriture pérenne en lettres de feu et de lumière de l'épopée, jusque-là méconnue, de nos pharmaciens durant la guerre de Libération nationale : Les Pharmacies de la résistance, aux éditions Dahlab, avec la collaboration de Mohammed-Chérif Ghebalou. "En faisant scintiller notre lumière, nous offrons aux autres la possibilité d'en faire autant", disait Nelson Mandela (1918-2013). Alors, sitôt dit sitôt fait, l'aube de la clarté a rayonné de la blancheur virginale des blouses de nos pharmaciens, qui s'étaient coalisés autour de la citation de Nguyễn Sinh Cung dit Hồ Chí Minh (1890-1969), qui disait aussi : "Rien n'est plus précieux que l'indépendance et la liberté." À ce propos, l'audace de la corporation des pharmaciens s'est liguée telle une violente torsion au cran d'autres ressorts de la société afin de créer l'effet tranchant d'un peuple enchaîné aux chaînes de l'apartheid et laissé à l'écart du progrès humain. Mais que peuvent la négation et le refus face à l'ardent désir de planter et d'irriguer l'arbre de la liberté ? Sur ce point, il n'avait que 13-14 ans lorsqu'il a quitté les bancs de l'école libre Echabiba et M'cid Fatah pour se vêtir d'une blouse blanche à l'officine du 16, rue Abderrahmane-Arbadji (ex-Marengo), d'abord en qualité de coursier, puis comme préparateur en pharmacie, du fait qu'il avait du souffle qu'il a acquis sous les couleurs de la Jeunesse sportive musulmane d'Alger. C'est qu'il a de qui tenir, puisqu'il s'est façonné dans la matrice militante de son coach Bouzrina Arezki dit "Si Ahmed" ou "Hdidouche" (1913-1958), à la JSMA. Ponctuel et appliqué dans sa tâche, Mohamed Damerdji donnait à chaque coup de son mortier de laborantin l'impression qu'il était tombé dans ses éprouvettes étant petit. Et en ce qui a trait à l'histoire, elle va s'écrire au pied de la fontaine des escaliers Papin à la rampe Louni-Arezki (ex-Sylvain-Charles-Valée), mais aussi à Djamâa Lekbir (La grande mosquée d'Alger) où Mohamed Damerdji, âgé alors de 21 ans, est allé à la rencontre du fidaï Rouibi Ahmed, dit Ahmed Chaïb. À cet égard, c'est dans ce lieu de ferveur révolutionnaire que Mohamed Damerdji assurait les livraisons des médicaments à "Loughrab" (corbeau), pour qu'ils soient acheminés vers l'historique Zone autonome d'Alger (ZAA) et les wilayas III et IV par le biais des autocars de la station du Bastion d'Alger. À noter également l'apport précieux de l'ambulancier Mohamed Chouiter, qui a donné son nom au collège de Parc-des-pins d'El-Biar. En d'autres temps, c'est en scooter que l'auteur opérait ses livraisons, au nez et à la barbe des soldats parachutistes, avec l'écriteau "Pharmacie d'urgence". Outre la charge de la collecte de fonds, Mohamed Damerdji s'aidait de ses compagnons de lutte Baba Ali Hamid, Meziani Yahia, Dridi et Abdiche Saïd. Autrement, le récit a le mérite de lever le voile de l'anonymat sur celles et ceux qui alimentaient la guérilla urbaine et les maquis en médicaments et en équipements médicaux. S'agissant de l'œuvre livresque, le style narratif s'ajoute à la richesse des annexes de documents et cartes, des biographies et des témoignages. Un livre mémoriel captivant, dont la couverture est enjolivée des couleurs nationales avec, en toile de fond, le portrait de l'auteur dans sa pharmacie au 16, rue Marengo, dans la Basse-Casbah. LOUHAL Nourreddine
Les Pharmacies de la résistance de Mohamed Damerdji, éd. Dahlab, 2022, 288 pages, prix 1000 DA.