En plus de souffrir de certains problèmes, comme le chômage ou les pénuries d'eau, Taourga a besoin d'un réseau routier aux normes pour la sortir de son enclavement. Perchée à 800 mètres d'altitude, à quelques encablures de la ville côtière de Dellys, Taourga, aux confins du territoire de Boumerdès, à la lisière de la wilaya de Tizi Ouzou, est comme figée dans le temps en cet hiver qui tire paresseusement à sa fin. Se rendre dans cette contrée, relevant administrativement de la daïra de Baghlia, n'est pas une mince affaire tant le chemin est en piteux état. À deux heures de route du chef-lieu de wilaya, le chemin de wilaya n°52 menant vers cette localité est difficilement praticable. D'ailleurs, la couleur est vite annoncée dès qu'on quitte la RN12 reliant Alger à Tizi Ouzou, à hauteur de la ville de Naciria, pour bifurquer et emprunter la route menant vers Dellys. À mi-chemin entre Naciria et Baghlia, au lieudit Kouanine, la circulation automobile est sérieusement ralentie sur un tronçon en travaux à la suite de glissements de terrain. "Cela fait des années que ça dure", témoignent des jeunes qui, comme souvent en pareille situation, profitent de cette aubaine pour pratiquer du commerce informel et proposer aux automobilistes toutes sortes de marchandises. "Tous les travaux de réfection entamés n'ont pu stabiliser ce tronçon de route. C'est du provisoire qui dure", disent-ils. À deux kilomètres de Baghlia, un barrage militaire filtre les voitures, une image qui vous renvoie inévitablement à la période de la décennie noire, d'autant que la région a subi les affres du terrorisme. Mais aujourd'hui, la sécurité règne et les militaires veillent toujours. Sur le chemin, nous traversons un pont qui date de l'époque coloniale long de 500 mètres et qui enjambe l'oued Sebaou, avant d'emprunter, enfin, la route menant vers notre destination. Sur une quinzaine de kilomètres, il est rare de croiser une voiture en sens inverse. Mais le décor, en revanche, vous fait oublier cette route sinueuse et en piteux état. Cadre idyllique, la vue est magnifique à mesure que nous grimpons et que nous avalons des kilomètres de route. La plaine de Sebaou traversée par l'oued offre un paysage majestueux à couper le souffle. Aïn Tigrine est le premier village que nous gagnons sur notre parcours : quelques habitations éparses, des fellahs qui s'affairent à leurs tâches quotidiennes, tandis que des enfants jouent dans la cour d'une petite école en bordure de route. Un peu plus loin, un autre barrage militaire fixe à l'intersection menant au village de Bouhbachou. "Taourga, c'est tout droit", nous indique un militaire en faction à ce barrage. L'état de la route et la multitude de virages nous contraignent à rouler à une vitesse ne dépassant pas les 40 km/h. De part et d'autre de la route, et tout au long de la partie restant à parcourir, nombre de poulaillers sont érigés avec des matériaux de fortune, des roseaux, de la terre glaise et des toits en tôle. Plus tard, on saura que l'élevage du poulet de chair est l'une des principales activités de la région et la seule ressource pour bon nombre de familles. Bienvenue à Taourga Un arc bâti en pierre, sur lequel sont suspendues des plaques de signalisation en français, en arabe et en tamazight, vous souhaite la bienvenue : nous voilà arrivés à Taourga. Région berbérophone de 9 000 habitants, le FFS a longtemps été aux commandes de cette commune, qu'il a perdue lors des deux dernières joutes électorales. La liste des indépendants s'est adjugé l'Assemblée lors des élections de novembre dernier. Ce scrutin électoral, qui a été marqué dans la région par une forte abstention, a vu 900 électeurs seulement voter sur plus de 5 000 inscrits sur les listes électorales. "Les responsables nous ont oubliés et la route a fait le reste", fulmine Boualem, un citoyen du village de Beni Attar avant de nous interroger : "Par quelle route êtes-vous venus, par Dellys ou par Baghlia ? Ecrivez tout simplement ce que vous avez vu, les routes sont impraticables et nous manquons de tout. À cause de cette satanée route, même le journal n'est pas distribué à Taourga." "Notre isolement a été accentué par l'état des routes", soutiennent unanimement de nombreux citoyens rencontrés sur place et qui ne manquent pas de soulever le problème de l'alimentation en eau potable dans les 12 villages de la commune. Sujets à de fréquentes pénuries d'eau surtout en été, les villages se plaignent de la qualité du précieux liquide. "Le vol de sable au niveau de l'oued Sebaou a endommagé la nappe phréatique. L'eau est chargée de calcaire", assure Ahmed, un villageois d'El-Djemâa, un quartier situé sur les hauteurs de Taourga. Les pannes fréquentes sur le réseau électrique, mais surtout le taux élevé de chômage de la population sont aussi le lot quotidien de ses habitants. "Seule la filière avicole absorbe la main-d'œuvre locale, mais depuis le début de la crise sanitaire, et le manque et la cherté de la matière première, beaucoup d'éleveurs ont mis la clé sous le paillasson et l'activité a été réduite de 80%", déplore Khedim Makhlouf, nouveau président élu de l'Assemblée communale de Taourga. Ce responsable, qui fait pratiquement le même constat que ses administrés sur les nombreuses insuffisances qui freinent le développement de cette localité, constate qu'en matière de projets octroyés par les collectivités locales, que ce soit pour des projets de développement communal (PCD) ou des projets sectoriels, l'ouest de la wilaya est plus "avantagé" que la partie est de Boumerdès. L'éducation, la santé, le logement social et l'aide à l'habitat rural sont autant de secteurs à la traîne et qui n'arrivent pas à répondre aux besoins grandissants de la population de Taourga, affirme M. Khedim. Preuve en est, ajoute-t-il, pour plus de 300 demandes d'aide à l'habitat rural, on nous attribue des quotas de 10 aides par an, ce qui ne suffit guère à satisfaire la demande sans cesse croissante surtout dans ce volet très sollicité par la population, précise-t-il. Le même problème se pose pour ce qui est du logement social. "Plus de 700 demandes pour 43 logements sur 57 achevés qui n'ont pas été distribués en raison de l'arrêt des travaux de VRD et de la réalisation d'un mur de soutènement", déplore M. Khedim qui précise que l'entreprise en charge des travaux a exigé une réévaluation du marché. "50+50 logements à El-Djemâa dont les travaux ont démarré en 2015 et dont le maître de l'ouvrage est l'OPGI de Boumerdès, sont à l'arrêt pour des problèmes de financement. Trois walis se sont succédé à la tête de cette wilaya sans résoudre le problème", relate le P/APC. "Même constat pour un autre projet de 50 logements sociaux au centre-ville de la commune qui est à l'abandon depuis 2014 ; les terrassements ont été faits puis plus rien", affirme ce responsable qui tient à préciser que ce terrain est devenu une décharge où les riverains jettent leurs ordures ménagères. Revenant au développement de la filière avicole, M. Khedim rappelle que l'actuel wali de Boumerdès avait en 2019, au cours d'une visite de travail et d'inspection effectuée dans la commune, promis d'inscrire une micro-zone d'activité. "Dernièrement, les services de la daïra m'ont informé que la création de cette zone d'activité a été accordée". En attente de développement Le manque d'assiettes foncières relevant du domaine public de l'Etat a impacté la réalisation d'infrastructures culturelles et sportives. "La commune ne dispose ni d'un centre culturel ni d'une salle omnisports très convoités pourtant par les jeunes", soutient M. Khedim. Selon lui, le peu d'infrastructures ne répond pas aux besoins de cette frange active de la société. Il rappelle à ce propos et avec fierté que le champion d'Algérie et le vice-champion du monde à deux reprises dans la discipline Vo Vietnam, est un jeune de Taourga. Il s'agit de Kassouri Farid. Les aménagements urbains et la réalisation de réseaux d'assainissement, sont d'autres points noirs soulevés par le président de cette Assemblée communale, qui précise que les demandes d'inscriptions d'opérations, ont essuyé des refus par les services de la wilaya. "Dans le cadre des arbitrages, la wilaya nous a accordé récemment une enveloppe financière de plus de deux milliards de centimes pour l'équipement et la réalisation de projets d'AEP". "Ce qui est très peu", considère ce responsable. En matière de couverture en gaz et en électricité de la commune M. Khedim, parle du village d'El-Koudia qui n'est pas encore totalement raccordé au réseau tandis que pour l'électricité, la réalisation d'une ligne de secours au profit de la commune et acheminée par Sidi Naâmane dans la wilaya de Tizi Ouzou, bute sur un problème d'opposition. Pour ce qui est de la prise en charge du réseau routier, le recours au procédé de sections dégradées pour réhabiliter le réseau par la Direction des travaux publics de la wilaya, n'est pas du tout la solution selon le P/APC et ne règle pas définitivement le problème. "C'est du provisoire qui dure, il faudrait inscrire une opération dans le cadre des plans de développement sectoriel pour venir à bout de ce problème", affirme M. Khedim. Le développement de Taourga est conditionné par la réalisation d'un réseau routier aux normes, seul habilité à la sortir de sa léthargie, conclut M. Makhlouf.