Expert en économie et finances, Mourad Goumiri nous livre, à travers cet entretien, une analyse objective sur la réforme du cadre réglementaire régissant l'acte d'investir en Algérie. Selon lui, le nomadisme juridique qui caractérise notre pays, depuis des décennies, a porté un énorme préjudice à l'économie et aux investissements nationaux et étrangers. Liberté : Le Conseil des ministres vient de décider de revoir à nouveau le projet de loi sur l'investissement. Pourquoi ce texte, si important, tarde-t-il autant à voir le jour ? Mourad Goumiri : Il faut d'abord remarquer que ce texte n'a pas été adopté en Conseil des ministres, ce qui signifie que le Président l'a rejeté et a instruit le Premier ministre de le maturer davantage. Le nomadisme juridique, qui caractérise notre pays depuis des décennies, a porté un énorme préjudice à notre économie et aux investisseurs nationaux et étrangers. Il faut donc y mettre un terme, par un texte qui soit durable et incitatif sans qu'il soit normatif, ce qui devrait le différencier de l'ancien texte. Il faut que ce texte puisse tracer les grandes lignes de l'acte d'investir sans exclusive et qu'il fixe les modalités d'octroi des avantages régaliens (douanes, fiscalité, foncier, financier...) que les pouvoirs publics sont prêts à accorder aux opérateurs nationaux et étrangers qui entreraient dans la stratégie de l'état dans le domaine économique. Pour ceux qui ne souhaitent pas y souscrire, ils prendront seuls le risque lié à tout investissement. Il semble y avoir, au sein des pouvoirs publics, deux visions opposées sur ce texte, ceux qui veulent codifier l'investissement et contrôler le processus et ceux qui considèrent que l'état doit avoir un rôle unique de régulateur et d'incitateur... D'où le retard de la sortie du texte et son renvoi pour "maturation". Dans ses grandes lignes, ce projet de loi viserait à garantir aux investisseurs plus de stabilité juridique et moins de lourdeurs bureaucratiques. La promulgation d'un texte de loi suffirait-elle, à elle seule, à lever de telles contraintes structurelles ? La bureaucratie est produite par l'Etat lui-même, puisque tous les textes législatifs et réglementaires viennent du pouvoir législatif et exécutif. En outre, les fonctionnaires sont chargés de mettre en œuvre ces textes sous peine de sanctions pénales. Il faut donc un immense toilettage des textes qui régissent l'acte d'investir pour le sortir de l'ornière bureaucratique, sinon, nous assisterons encore au "blocage" de projets d'investissement depuis des années, par les textes que l'état a mis en place et qu'il "débloque" illégalement lui-même, car les textes sont toujours en vigueur ! Ce que vous appelez "contraintes structurelles" ne sont, en fait, qu'une manifestation d'une différence de vision stratégique entre état régulateur et état décideur, et cette question n'est pas définitivement tranchée au sein du pouvoir. De nombreux acteurs économiques évoquent un certain flou quant à la levée de la règle des 51-49% pour les investissements étrangers. Qu'en est-il au juste ? Effectivement, cette règle et d'autres ne sont pas définitivement abrogées, mais suspendues à des concepts flous comme la notion d'"investissements stratégiques" qu'aucun texte n'a définis. Pourtant, le problème est simple à résoudre, il suffirait de ne pas promulguer de loi et de traiter du problème au cas par cas, de manière à permettre de la flexibilité et surtout d'ôter aux investisseurs étrangers cette arme avec laquelle ils nous tarabustent tout le temps ! J'ajouterais que cette règle nous pénalise beaucoup plus qu'elle nous protège, puisque notre pays prend tout le risque seul en étant toujours majoritaire. De nombreux projets suspendus ces quelques dernières années viennent d'être débloqués par le gouvernement. S'agit-il d'un nouveau cap pour encourager l'investissement privé ? Qui a bloqué ces investissements et pourquoi ? C'est la question qui se pose ! Ce "déblocage" est-il légal aux yeux de la législation en vigueur ? Je ne le pense pas ! Il faut abroger définitivement tous les textes qui étranglent l'acte d'investir et non octroyer des dérogations en fonction des relations informelles ou de la proximité des cercles concentriques du pouvoir, sinon, on n'a rien changé. Les agréments, les dérogations, les habilitations, les permis mis entre les mains de la bureaucratie sont autant d'obstacles qui minent l'acte d'investir, et ce n'est certainement pas en les "levant" au cas par cas que l'on résout le problème lui-même, mais en les abrogeant explicitement comme ils ont été créés et qu'ils continuent d'exister.