Le revirement inattendu de l'Espagne, en appuyant ouvertement le soutien au plan d'autonomie défendu par Rabat comme "seule base légale" de règlement du conflit du Sahara occidental, a suscité colère et incompréhension. Une rupture dans les équilibres anciens et un risque de chamboulement dans les alliances régionales. Un coup dur pour la cause sahraouie. Le revirement pour le moins inattendu et spectaculaire de Madrid sur la question du Sahara occidental, désormais favorable à un règlement de ce conflit latent dans le cadre du plan marocain d'autonomie, met le Front Polisario dans une posture pour le moins délicate délicate. Déjà mise à mal par le soutien franc des Etats-Unis qui reconnaissent, depuis décembre 2020, la souveraineté du royaume chérifien sur le Sahara occidental, la cause indépendantiste du peuple sahraoui est aujourd'hui clairement malmenée. Des positions, faut-il le rappeler, en porte-à-faux avec les résolutions des Nations unies. En assurant son homologue marocain de son soutien sur une question aussi sensible et inscrite à l'ONU comme une question de décolonisation, le président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, vient de rompre, et de façon brutale, avec la position de Madrid qui, jusque-là, se tenait à équidistance des parties en conflit, et soutenant une résolution du conflit dans un cadre onusien. Il n'est pas exagéré de dire aujourd'hui que l'Espagne, en abandonnant sa neutralité historique, brouille les cartes dans une région où les équilibres tiennent sur le fil du rasoir. De par son statut d'ancienne puissance administrante, elle n'est pas sans savoir que son désormais parti pris assumé ne sera pas sans conséquences. Madrid qui s'implique désormais directement dans le dossier sahraoui, en s'alignant sur la thèse marocaine, favorable à l'autonomie de ce territoire, mais sous son contrôle, va sans doute amplifier les tensions. Car au-delà du coup de poignard dans le dos du Front Polisario, ce sont tous les équilibres géopolitiques du Maghreb qui sont présentement en jeu. Le contexte crisogène et explosif déjà en place, faut-il le dire, n'arrange rien à cette affaire. Depuis novembre 2020, après la violation, par l'armée marocaine, du cessez-le-feu au Sahara occidental, dans la zone-tampon de Guerguerat, à l'extrême sud du Sahara occidental, le climat n'a pas cessé de se dégrader. Un mois plus tard, l'alignement américain sur la position marocaine, reconnaissant la souveraineté du royaume sur les territoires sahraouis, n'a fait que reforcer le spectre d'un embrasement de tout le Maghreb. Une situation qui a déjà poussé le Front Polisario à prendre ses responsabilités historiques, bien obligé de poursuivre les combats : une question de survie. Mais alors, qu'est-ce qui motive et explique cette nouvelle attitude de Madrid ? Nombreux sont les observateurs qui soutiennent aujourd'hui que la volte-face de l'Espagne est liée au "chantage migratoire" exercé par Rabat sur Madrid. La brouille diplomatique entre les deux capitales avait été provoquée en avril 2021 par l'accueil en Espagne, pour y être soigné de la Covid, du chef du Front Polisario, Brahim Ghali, ennemi juré de la monarchie marocaine. Elle s'est traduite, un mois après, par l'arrivée massive de migrants d'origine marocaine dans l'enclave espagnole de Ceuta, sur la côte nord du Maroc, profitant d'un relâchement de la surveillance des frontières côté marocain. Avant les annonces de vendredi, les tensions s'étaient un peu atténuées, mais n'avaient pas pris fin. Rappelée pour consultations en mai, l'ambassadrice du Maroc en Espagne n'est d'ailleurs toujours pas revenue à Madrid. Le geste de Madrid, vendredi passé, sur le Sahara a en particulier pour objectif d'obtenir de Rabat une gestion de ses flux migratoires. Mais à quel prix ? Car si l'Espagne réussit, en effet, à s'entendre avec Rabat et à se prémunir contre une crise migratoire, elle risque, cependant, de se mettre à dos un autre allié "stratégique" dans la région, Alger, avec qui elle entretient jusque-là d'"excellentes" relations. Signe d'agacement, l'Algérie a déjà réagi, en rappelant son ambassadeur à Madrid. Une nouvelle crise entre les deux pays ?