Il est stupéfiant de jeunesse. Cherif Kheddam a soixante-dix-huit ans et un demi-siècle de chanson dans le “barda”. Comme de coutume, l'année 2005 a été politiquement mouvementée en Algérie. La culture, elle, a suivi, toussante, crachante. Rien de majeur n'a eu lieu depuis l'exil parisien. “L'Année de l'Algérie en France”, cette chose inutile qui a gonflé quelques poches et rosi quelques joues. Si ! Il y a eu un événement : un vieil ouvrier a fait salle comble à la Coupole, le Bercy algérois. Il a créé des bouchons tout autour de la cité olympique, Cherif Kheddam. Difficile d'imaginer cette coutume à l'heure du diktat du R'n'B. Il est fier quand même le vieux qui nous renvoie, à chaque rime, à nos parents, à le vérité. Il a fait pire. Après juste trois semaines d'affichage, une campagne publicitaire, ridicule à vrai dire, il a réussi à épouser les murs du Zénith de Paris. Il a parié sur la grande formule : 7 000 personnes. Il a gagné. L'Algérie — comme tout le monde le sait est là président et ministre de l'Intérieur y compris — s'est présentée au guichet pour célébrer l'anniversaire de ce rare auteur. Kheddam dessine la musique et dit le mot. Depuis toujours. Nadia ou Lemri, femme et miroir, sont là depuis les années 1950. Quelque chose comme deux générations de guerres perdues ou gagnées. Une masse d'émotions et de contes à narrer. Des millions d'enfants à regarder dans les yeux. Il connaît le Coran, il aime Dieu. Il a connu l'usine. Il aime ce que donnent les mains. Ce qui nourrit les hommes. Il a appris la musique, le solfège, ces signes barbares qu'il est ardu de déchiffrer. Il a été mis en contact avec les nouvelles et les anciennes technologies. Jamais peur ! Ce n'est pas évident dans le sens où les gens de son âge assimilent les ordinateurs à leurs belles-mères. Ils n'aiment pas. Il a vécu avec nos turbulences. Il s'en est nourri. On appelle les gens de son âge des seniors. Ou des personnes en fin de vie. Da Cherif est la vie. Il aime les femmes, celles qui sont filles, sœurs, mères, tantes ou épouses. Il décrit cette joie qu'elles offrent. Ces choses qu'elles savent façonner et donner. Ce qu'il faut retenir de ce monsieur droit, c'est la simplicité. Il sait montrer le grave et rester petit face à l'immensité du devenir. Ses musiciens, presque tous étrangers, planétaires ont compris son langage. Que dire ? Sa langue… Il est des territoires où seuls les artistes pénètrent. Le commun des mortels ne sait jamais pourquoi le témoin pleure. C'est bête, il verse ses eaux parce qu'il voit. Il sait. Le 31 octobre, Cherif Kheddam a chanté à la Coupole du 5-Juillet. Le pouvoir a vu l'opportunité de faire un carton-pub. Un live pour le 1er Novembre. Que des couleurs ! L'artiste est le 1er Novembre ! La révolution est dans et sous sa peau. Cherif Kheddam est un malade bien portant. Il sait parler à la douleur. Il n'a rien à cacher. Il est sous dialyse depuis longtemps. Le monde aussi face à ses reins, il y a le soleil, les étoiles. À tous ces univers, il nous y convie. Subrepticement, Cherif Kheddam a marqué l'année 2005 dans son pays et en France. Sa santé remonte le moral. Ce barde est un anti-dépresseur. Il aurait pu devenir une énième victime de l'amnésie générale qui frappe l'Algérie. Il a été, in extremis, sauvé par Tahar Boudjelli, banquier, Kabyle et mécène. Désormais producteur et éditeur d'audiovisuel. Rare… À 78 ans, Cherif Kheddam concocte encore deux produits. Un perso. Un nouvelle album qui sera sur le marché au printemps et un autre qui sera porté par Karima. Notre Madona à nous. Quand un artiste fête un demi-siècle de carrière sous d'autres cieux, son peuple festoie. Chez nous, encore une fois, il aurait pu partir comme ça. Sur la pointe des pieds. Ces pieds qui ont tant marché… MEZIANE OURAD